Sources
Antoine de Saint-Exupéry – Terre des hommes
Nicolas Bonnal – Céline, la colère et les mots (Avatar, Amazon.fr)
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Les célèbres flics, Starsky et Hutch, sont en deuil. Le parolier du générique français de leur série télévisée de la fin des années 1970 les a quittés le 7 avril dernier. Né le 31 mai 1933, Jean-Claude Albert-Weil a longtemps travaillé pour les chaînes de télévision française. Il produisit aussi sur ces chaînes des émissions de jazz.
Si cette chronique l’évoque, c’est en tant qu’auteur de L’Altermonde, une formidable trilogie romanesque, hybridation littéraire inouïe de Sade, de Céline, de Swift et de Rabelais. En 1996 paraît aux Éditions du Rocher Sont les Oiseaux… (réintitulé Europa), qui obtiendra dès l’année suivante le Prix du Roman de la Société des Gens de Lettres. La dite-société le regrettera quelques années plus tard avec la parution du deuxième volume, Franchoupia (L’Âge d’Homme, 2000), puis, en 2004, de Siberia aux éditions Panfoulia fondées par Jean-Claude Albert-Weil lui-même afin de contourner le blocus éditorial imposé à son œuvre.
L’Altermonde est une fresque uchronique magistrale. Cédant aux pressions allemandes, Franco permet à la Wehrmacht de traverser l’Espagne et de s’emparer de Gibraltar. L’Allemagne gagne ensuite la Seconde Guerre mondiale et parvient à unifier tout le continent européen. Deux dénazifications après, l’Empire européen est une puissance géopolitique. Il suit les règles de l’existentialisme heideggérien, autorise une très large permissivité sexuelle, applique un malthusianisme implacable et pratique une écologie radicale qu’approuverait tout décroissant sincère.
Des trois volumes de L’Altermonde, le deuxième, Franchoupia, est le moins abouti. Il traite d’une France libre réduite à la Guyane. Il s’agit d’une satire virulente de l’Hexagone sous les présidences de François Mitterrand et de Jacques Chirac. Il faut cependant reconnaître que deux décennies plus tard, l’immonde société franchoupienne s’épanouit sous les différents quinquennats de Sarközy, de Hollande et de Macron !
Cette trilogie uchronique tire son originalité du vocabulaire qui s’ouvre largement aux nombreux néologismes ainsi qu’à sa structure narrative toute droite sortie d’un orchestre de jazz dirigé par Céline ! Cependant, Jean-Claude Albert-Weil avouait dans Réflexions d’un inhumaniste (ses entretiens avec François Bousquet parus en 2007 chez Xenia) qu’il était « aventuré de me réduire à Céline. Ma littérature est constructive, optimiste, avec certaines naïvetés, puisqu’elle croit à la science (p. 32) ». En introduction à ces entretiens, le futur rédacteur en chef du magazine des idées Éléments lui décernait « le Prix Nobel du samizdat (p. 7) » et affirmait que « le créateur du langagevo (langage évolué) bouscule trop joyeusement les stéréotypes et les clichés, et notamment littéraires, pour que la société de spectacle le lui pardonne (p. 10) ».
Jean-Claude Albert-Weil aimait se moquer du politiquement correct. « Je ne suis pas un écrivain reconnu, je ne suis pas un auteur conventionnel, je suis libre de faire ce que je veux. […] Des années durant, j’ai écrit sans publier. […] Est-ce qu’on écrit ce qu’on veut ou est-ce qu’on fait carrière ? J’ai choisi la destinée métaphysique, autant jouer un jeu risqué et autant le jouer avec farouchitude (pp. 34 – 35). » Pour preuve, dans son Altermonde euro-sibérien, le transhumanisme et l’eugénisme assurent aux dirigeants paneuropéens une conception « sur-occidentale » et « archéofuturiste (p. 10) ». « Euro-Sibérie », « archéofuturisme », les thèmes chers à Guillaume Faye sont donc bien présents dans l’œuvre albert-weilienne, ce qui n’est pas anodin. Au début des années 2000, Guillaume Faye et Jean-Claude Albert-Weil s’étaient plusieurs fois rencontrés. Décédés à quelques semaines d’intervalle, les deux hommes partageaient une vision du monde assez semblable.
Esprit libre et réfractaire à tout conformisme ambiant, Jean-Claude Albert-Weil méritait bien de figurer dans le panthéon dionysiaque des grandes figures européennes.
Georges Feltin-Tracol
• Chronique n° 26, « Les grandes figures identitaires européennes », lue le 18 juin 2019 à Radio-Courtoisie au « Libre-Journal des Européens » de Thomas Ferrier.
00:30 Publié dans Hommages, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jean-claude albert-weil, hommage, littérature, lettres, lettres françaises, littérature française | |
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Quand Chateaubriand décrit notre Fin des Temps
par Nicolas Bonnal
Un des plus grands et importants textes du monde, le premier peut-être qui nous annonce comment tout va être dévoré : civilisation occidentale et autres, peuples, sexes, cultures, religions aussi. C’est la conclusion des Mémoires d’outre-tombe. On commence avec l’unification technique du monde :
« Quand la vapeur sera perfectionnée, quand, unie au télégraphe et aux chemins de fer, elle aura fait disparaître les distances, ce ne seront plus seulement les marchandises qui voyageront, mais encore les idées rendues à l'usage de leurs ailes. Quand les barrières fiscales et commerciales auront été abolies entre les divers Etats, comme elles le sont déjà entre les provinces d'un même Etat ; quand les différents pays en relations journalières tendront à l'unité des peuples, comment ressusciterez−vous l'ancien mode de séparation ? »
On ne réagira pas. Chateaubriand voit l’excès d’intelligence venir :
« La société, d'un autre côté, n'est pas moins menacée par l'expansion de l'intelligence qu'elle ne l'est par le développement de la nature brute. Supposez les bras condamnés au repos en raison de la multiplicité et de la variété des machines, admettez qu'un mercenaire unique et général, la matière, remplace les mercenaires de la glèbe et de la domesticité : que ferez−vous du genre humain désoccupé ? Que ferez−vous des passions oisives en même temps que l'intelligence ? La vigueur du corps s'entretient par l'occupation physique ; le labeur cessant, la force disparaît ; nous deviendrions semblables à ces nations de l'Asie, proie du premier envahisseur, et qui ne se peuvent défendre contre une main qui porte le fer. Ainsi la liberté ne se conserve que par le travail, parce que le travail produit la force : retirez la malédiction prononcée contre les fils d'Adam, et ils périront dans la servitude : In sudore vultus tui, vesceris pane. »
Le gain technique va se payer formidablement. Vient une formule superbe (l’homme moins esclave de ses sueurs que de ses pensées) :
« La malédiction divine entre donc dans le mystère de notre sort ; l'homme est moins l'esclave de ses sueurs que de ses pensées : voilà comme, après avoir fait le tour de la société, après avoir passé par les diverses civilisations, après avoir supposé des perfectionnements inconnus on se retrouve au point de départ en présence des vérités de l'Ecriture. »
Puis Chateaubriand constate la fin de la monarchie :
« La société entière moderne, depuis que la barrière des rois français n'existe plus, quitte la monarchie. Dieu, pour hâter la dégradation du pouvoir royal, a livré les sceptres en divers pays à des rois invalides, à des petites filles au maillot ou dans les aubes de leurs noces : ce sont de pareils lions sans mâchoires, de pareilles lionnes sans ongles, de pareilles enfantelettes tétant ou fiançant, que doivent suivre des hommes faits, dans cette ère d'incrédulité. »
Il voit le basculement immoral de l’homme moderne, grosse bête anesthésiée, ou aux indignations sélectives, qui aime tout justifier et expliquer :
« Au milieu de cela, remarquez une contradiction phénoménale : l'état matériel s'améliore, le progrès intellectuel s'accroît, et les nations au lieu de profiter s'amoindrissent : d'où vient cette contradiction ?
C'est que nous avons perdu dans l'ordre moral. En tout temps il y a eu des crimes ; mais ils n'étaient point commis de sang−froid, comme ils le sont de nos jours, en raison de la perte du sentiment religieux. A cette heure ils ne révoltent plus, ils paraissent une conséquence de la marche du temps ; si on les jugeait autrefois d'une manière différente, c'est qu'on n'était pas encore, ainsi qu'on l'ose affirmer, assez avancé dans la connaissance de l'homme ; on les analyse actuellement ; on les éprouve au creuset, afin de voir ce qu'on peut en tirer d'utile, comme la chimie trouve des ingrédients dans les voiries. »
La corruption va devenir institutionnalisée :
« Les corruptions de l'esprit, bien autrement destructives que celles des sens, sont acceptées comme des résultats nécessaires ; elles n'appartiennent plus à quelques individus pervers, elles sont tombées dans le domaine public. »
On refuse une âme, on adore le néant et l’hébétement (Baudrillard use du même mot) :
« Tels hommes seraient humiliés qu'on leur prouvât qu'ils ont une âme, qu'au-delà de cette vie ils trouveront une autre vie ; ils croiraient manquer de fermeté et de force et de génie, s'ils ne s'élevaient au-dessus de la pusillanimité de nos pères ; ils adoptent le néant ou, si vous le voulez, le doute, comme un fait désagréable peut−être, mais comme une vérité qu'on ne saurait nier. Admirez l'hébétement de notre orgueil ! »
L’individu triomphera et la société périra :
« Voilà comment s'expliquent le dépérissement de la société et l'accroissement de l'individu. Si le sens moral se développait en raison du développement de l'intelligence, il y aurait contrepoids et l'humanité grandirait sans danger, mais il arrive tout le contraire : la perception du bien et du mal s'obscurcit à mesure que l'intelligence s'éclaire ; la conscience se rétrécit à mesure que les idées s'élargissent. Oui, la société périra : la liberté, qui pouvait sauver le monde, ne marchera pas, faute de s'appuyer à la religion ; l'ordre, qui pouvait maintenir la régularité, ne s'établira pas solidement, parce que l'anarchie des idées le combat… »
Une belle intuition est celle-ci, qui concerne…la mondialisation, qui se fera au prix entre autres de la famille :
« La folie du moment est d'arriver à l'unité des peuples et de ne faire qu'un seul homme de l'espèce entière, soit ; mais en acquérant des facultés générales, toute une série de sentiments privés ne périra−t−elle pas ? Adieu les douceurs du foyer ; adieu les charmes de la famille ; parmi tous ces êtres blancs, jaunes, noirs, réputés vos compatriotes, vous ne pourriez vous jeter au cou d'un frère. »
Puis Chateaubriand décrit notre société nulle, flat (Thomas Friedman), plate et creuse et surtout ubiquitaire :
« Quelle serait une société universelle qui n'aurait point de pays particulier, qui ne serait ni française, ni anglaise, ni allemande, ni espagnole, ni portugaise, ni italienne ? ni russe, ni tartare, ni turque, ni persane, ni indienne, ni chinoise, ni américaine, ou plutôt qui serait à la fois toutes ces sociétés ? Qu'en résulterait−il pour ses mœurs, ses sciences, ses arts, sa poésie ? Comment s'exprimeraient des passions ressenties à la fois à la manière des différents peuples dans les différents climats ? Comment entrerait dans le langage cette confusion de besoins et d'images produits des divers soleils qui auraient éclairé une jeunesse, une virilité et une vieillesse communes ? Et quel serait ce langage ? De la fusion des sociétés résultera−t−il un idiome universel, ou bien y aura−t−il un dialecte de transaction servant à l'usage journalier, tandis que chaque nation parlerait sa propre langue, ou bien les langues diverses seraient−elles entendues de tous ? Sous quelle règle semblable, sous quelle loi unique existerait cette société ? »
Et de conclure sur cette prison planétaire :
« Comment trouver place sur une terre agrandie par la puissance d'ubiquité, et rétrécie par les petites proportions d'un globe fouillé partout ? Il ne resterait qu'à demander à la science le moyen de changer de planète. »
Elle n’en est même pas capable…
Source:
Chateaubriand, Mémoires, conclusion
13:54 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : françois-rené de chateaubriand, nicolas bonnal, littérature, littérature française, lettres, lettres françaises | |
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Bulletin Célinien n°419
Sommaire :
Sur un colloque oublié
Céline et Maurice Nadeau (suite)
Baryton et Parapine
Malraux (Alain) salue « le médecin des pauvres »
Un éditeur sous l’Occupation
Quand Dubuffet voulait aider Céline
Le doyen des célinistes se souvient.
Marc Laudelout.
De ces cahiers de prison se dégagent beaucoup d’émotion et de rage mêlées. On imagine ce que cette incarcération a représenté pour Céline qui, de bonne foi, se considérait injustement traité. Ils constituent à la fois un document littéraire de premier ordre et une part intimiste de l’œuvre aussi poignante que révélatrice d’un être victime de son tempérament d’écrivain de combat.
• Louis-Ferdinand Céline, Cahiers de prison (février-octobre 1946), Gallimard, coll. « Les Cahiers de la NRF » [Cahiers Céline n° 13], 2019, 240 p. (Diffusé par le BC, 25 € frais de port inclus).
11:06 Publié dans Littérature, Revue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : céline, marc laudelout, revue, littérature, littérature française, lettres, lettres françaises | |
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Bulletin célinien n°418 (mai 2019)
Sommaire :
Carnaval à Sigmaringen (mars 1945)
Malaparte et Céline
Quand Kaminski taillait un costume à Céline
Raymond Giancoli dans sa correspondance avec Albert Paraz.
par Marc Laudelout
Andrea Lombardi est sans nul doute le célinien le plus actif d’Italie. Outre un blog entièrement dédié à son auteur de prédilection, on lui doit plusieurs ouvrages dont une superbe anthologie, richement illustrée, éditée en 2016 par son association culturelle “Italia Storica”. Depuis plusieurs années, il n’a de cesse de rendre accessible au lectorat italien des textes peu connus de Céline (dont sa correspondance) mais aussi des témoignages et des études littéraires qu’il réunit dans des ouvrages de belle facture.
Aujourd’hui, il publie une plaquette réunissant les pièces du dossier polémique qui opposa Céline à Roger Vailland. Celui qui joua le rôle d’arbitre fut Robert Chamfleury (1900-1972), de son vrai nom Eugène Gohin. Comme chacun sait, il était locataire de l’appartement juste au-dessous de celui de Céline, au quatrième étage du 4 rue Girardon, à Montmartre. Après la guerre, il réfutera Vailland et affirmera que Céline était parfaitement au courant de ses activités de résistant. Au moment critique, Chamfleury lui proposa même un refuge en Bretagne. Dans une version antérieure de Féerie pour une autre fois, Céline le décrit (sous le nom de “Charmoise”) « cordial, compréhensif, conciliant, amical ». Sa personnalité est aujourd’hui mieux connue : parolier et éditeur de musique, Robert Chamfleury était spécialisé dans l’adaptation française de titres espagnols ou hispano-américains. Il fut ainsi une figure marquante de l’introduction en Europe des compositeurs cubains, et des rythmes nouveaux qu’ils apportaient. Il travaillait le plus souvent en duo avec un autre parolier, Henri Lemarchand. Lequel préfaça La Prodigieuse aventure humaine (1951, rééd. 1961) de son ami qui, sur le tard, rédigea plusieurs ouvrages de vulgarisation scientifique et de philosophie des sciences. Céline lui accusa réception avec cordialité de cet ouvrage et l’invita à venir le voir à Meudon. Dans sa plaquette, Andrea Lombardi reproduit la version intégrale de la lettre que Chamfleury adressa au directeur du Crapouillot, telle qu’elle parut, pour la première fois, dans le BC en 1990.
Un biographe de Céline a admis qu’il a fait preuve de « suspicion systématique » [sic] envers son sujet ¹. C’est aussi le seul à avoir mis en cause le témoignage de Chamfleury, instillant même le doute sur ses activités de résistant. Les auteurs du Dictionnaire de la correspondance de Céline précisent, eux, qu’il « appartenait au bloc des opérations aériennes, responsable donc de nombreuses missions de parachutage ». En fait, c’est plutôt le témoignage de Roger Vailland qu’il eût fallu mettre en question. Dans un livre de souvenirs publiés en 2009, Jacques-Francis Rolland, qui appartenait au même réseau de résistance que Vailland, le qualifia de « mélange de forfanterie, d’erreurs, de fausses assertions, affligé par surcroît d’un style indigne de l’auteur qui n’était manifestement pas dans son état normal lorsqu’il bâcla son pensum, l’un des pires de sa “saison” stalinienne » ².
• Andrea LOMBARDI (éd.), Céline contro Vailland (Due scrittori, una querelle, un palazzo di una via di Montmartre sotto l’Occupazione tedesca), Eclettica, coll. “Visioni”, 2019, 83 p., ill. Traduction des textes français : Valeria Ferretti. Couverture illustrée par Jacques Terpant (10 €)
11:39 Publié dans Littérature, Livre, Livre, Revue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, revue, céline, littérature, lettres, lettres françaises, littérature française | |
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Ex: http://rebellion-sre.fr
Vous n’avez pas lu Olivier Maulin ? Grave faute de goût que vous devez dès maintenant expier ! Il est un des rares auteurs français vivants dont les livres sont une source de joie et d’inspiration pour le lecteur. Il nous avait fait l’honneur de répondre à nos questions dans numéro 83 de Rébellion.
Comment êtes-vous venu à la littérature ? (Question totalement idiote, j’en conviens)
Pas forcément idiote mais compliquée… Je me souviens qu’adolescent, je passais mes soirées à écrire des poèmes et à rêver d’être un poète. J’avais alors pour modèle Rimbaud, bien sûr, et les poètes fauchés de la fin du XIXe siècle qui représentaient pour moi un exotisme fabuleux. C’est donc plus la figure du poète qui me fascinait que la littérature elle-même ! Mais à force d’écrire des poèmes, très mauvais pour la plupart, j’ai appris à écrire, et à m’intéresser à autre chose qu’à la poésie, notamment au roman. Je me suis mis alors à écrire des nouvelles que je publiais dans des petites revues littéraires, puis au roman, assez tardivement. Mais je reste aujourd’hui absolument convaincu que ce sont toutes ces heures passées à écrire de la, poésie qui m’ont tout appris.
Quelles sont les lectures qui vous ont poussé à écrire ? ( question légèrement moins bête)
Adolescent, je ne lisais que de la poésie et des livres d’histoire, cultivant un mépris stupide et un peu snob pour le roman. C’est en licence d’histoire que j’ai eu deux chocs successifs en découvrant Crime et châtiment de Dostoïevski et surtout Mort à Crédit de Céline. J’ai dès lors avalé tout Céline et j’ai compris les possibilités inouïes du roman. Il m’a fallu ensuite une dizaine d’années pour digérer ce monstre et quitter la parodie.
Pour paraphraser Macbeth, l’humour dans vos romans est-il présent pour rappeler que l’existence n’est qu’une histoire de fous racontée par des idiots, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien” ?
Il y a de cela en effet. Mais je n’arrive pas vraiment à parler de l’humour de mes romans. Quand j’ai écrit En attendant le roi du monde, je n’avais pas vraiment conscience que c’était un roman drôle, il a fallu qu’on me le dise. En fait, je ne force rien, c’est la façon dont je vois les choses, je ne peux pas m’empêcher de voir le côté grotesque et raté de l’existence. Et puis je me suis aperçu que l’humour était une arme redoutable qui permettait de tout dire.
Dans votre oeuvre, vous semblez-vous amuser à faire basculer dans l’aventure la vie banale et routinière de vos personnages. Ce point de rupture est pour vous une ouverture vers le vrai sens de la vie ?
Disons que la plupart des mes personnages ne sont pas à l’aise dans ce monde étroit qui de surcroit les rejette. Ils se réfugient ainsi dans des sortes « d’alter-monde » où ils peuvent mettre en pratique leurs « idéaux » même si ceux-ci sont souvent inconscients et non formulés. Mais, oui, il y a une sorte de recherche du vrai sens de la vie comme vous dites, la vie aujourd’hui, pour la plupart des gens des gens, n’en ayant plus beaucoup, de sens.
Vous avez une affection toute particulière pour les « handicapés sociaux ». Etre inadapté au monde actuel est pour vous un signe de bonne santé mentale ?
Exactement ! Le monde actuel étant à mon sens cul par-dessus tête, je crée des carnavals où l’ordre de ce monde est mis à bas. Par le désordre du carnaval, le désordre du monde devient un ordre ! Et puis j’ai une réelle sympathie pour les bras-cassés qui dans notre société de la compétitivité et du sérieux maquillé en cool représentent à eux seuls une provocation et une bouffée d’oxygène.
Dans votre premier roman, « En attendant le roi du monde », vous évoquez des références traditionnelles (Je pense à Mircea Eliade ou René Guénon) pour créer une évocation quasiment magique. Avez-vous été influencé par ce courant ?
Oui, ce sont des auteurs que j’ai lus, surtout Guénon qui a été une lecture très importante pour moi. Certaines vérités établies, lesquelles forment le socle du monde contemporain et ne sont jamais remises en question, se sont écroulées comme un château de cartes à la lecture de Guénon. En le lisant, j’ai à vrai dire eu l’impression que du destop coulait dans ma cervelle et emportait le bouchon de crasse que l’on m’avait collé à l’école… Cela m’a ouvert des horizons intellectuels insoupçonnés. On retrouve l’écho de cette lecture dans mes trois premiers romans où mes personnages sont en quête (selon leurs modalités !) d’une tradition originelle qui rendrait le monde à nouveau habitable.
Un paganisme sauvage et tellurique surgit de la terre ancestrale dans vos romans. Est ce pour vous l’expression d’une voie spirituelle pouvant réenchanter notre époque ?
Je suis un peu ambigu à ce sujet. J’ai eu une période très « païenne » dont je suis un peu revenu. Lorsque Suzy essaie dans Les Evangiles du lac de recréer une religion païenne, elle est obligée d’user d’artifices et de rêves. Que ce paganisme sauvage dont vous parlez puisse irriguer notre rapport au monde, oui. Qu’il ait encore quelque chose à nous dire, encore oui. Qu’il puisse redevenir une religion, non. Il est mort et ne reviendra plus. Mais il est vrai qu’en écrivant mes trois premiers romans, mon but conscient était bien de réenchanter ce monde qui crève d’avoir abandonné le sacré et d’avoir tourné le dos à certains vérités universelles.
Ecologie, localisme, communautés alternatives, enracinement sont présent dans votre réflexion. Pensez vous que l’avenir appartient à un croisement entre la ZAD et la Tradition?
Je ne sais pas de quoi l’avenir sera fait mais ce qui est certain c’est que notre monde fonce à toute vapeur vers le précipice. Au moment du grand basculement, il faudra bien inventer des solutions pour s’en sortir et certainement verrons-nous en effet la résurgence de communautés autonomes et enracinées. Ceci étant, je traite toutes ces questions d’un point de vue littéraire en ce sens qu’elles me permettent de mettre en scène des personnages, de raconter des histoires et de développer dans la bonne humeur quelques critiques à l’encontre de notre monde persuadé d’être dans le vrai. Quant à l’écologie, elle est très présente dans mes livres, c’est vrai, tout simplement parce que je pense qu’elle soulève, quand elle est réelle et non tartuffe, des véritables questions, et notamment celle-ci : notre mode de production et de consommation illimitées est-il compatible à terme avec une vie sur cette planète aux ressources limitées ? La réponse est à l’évidence non et le développement durable n’y changera rien. Mais au-delà de cet aspect matériel, c’est presque d’une écologie spirituelle, pour le coup, dont j’ai envie de parler. Notre rapport au monde a été abimé par l’économie triomphante, ce qui a rendu les gens sont malheureux. La grande promesse du progrès, c’était le bonheur pour tous mais il se vend chaque année en France 60 millions de boîtes d’antidépresseurs ! L’échec est total et il faudra bien que cela finisse par se savoir (ça se sait de plus en plus « en bas » mais pas « en haut » or c’est « en haut » que ça gouverne). La vraie question qui se pose donc aujourd’hui c’est de savoir si une révolution mentale peut encore nous permettre de changer à temps de direction ou si nous allons foncer dans le mur en discutant de l’écriture inclusive et du racisme sur Internet. Malheureusement, je penche pour la dernière hypothèse.
L’idée de communauté autonome du monde a une signification forte pour vous. Pourquoi ce type d’expérience vous attire ?
Mon idéal communautaire, c’est le village médiéval. On y trouve tout ce que j’aime, la solidarité, une relative égalité sociale (la différence entre le petit seigneur local et le paysan le plus pauvre ne dépassait pas le plus souvent les critères du fordisme), une possibilité d’accomplissement dans un travail qui a du sens avec de nombreux jours fériés (autant qu’aujourd’hui) et un ancrage qui, là encore, donne un sens à la vie. Au fond, l’idéal anarchiste est là ! Dans un monde liquide et littéralement invivable (sans cachetons), je vois les expériences communautaires comme des tentatives de recréer cet âge d’or…
Comment avez-vous découvert les milieux libres et colonies libertaires de la Belle Époque qui servent de source à l’inspiration du « Bocage à la Nage » ?
Dans un magnifique ouvrage hors commerce paru en 2003, ronéotypé, le n°9 d’une revue intitulée Invariance, je crois, et qui s’intitulait « Naturiens, Végétariens, Végétaliens et crudivégétaliens dans le mouvement anarchiste français ». Il s’agissait de la reproduction de revues ouvrières de la fin du XIXe siècle, écrites par les ouvriers eux-mêmes, tirées à quelques dizaines d’exemplaires et distribuées à la sortie des usines, qui prônaient, pour certaines, la sécession d’avec la société capitaliste. J’avais été frappé par la clairvoyance de cette pensée clandestine, souvent exprimée de manière naïve, qui posait déjà la question de l’écologie (un article de 1895 annonce le réchauffement climatique !) et annonçait les communautés hippies avec soixante ans d’avance. C’est l’époque où commençaient à se développer des « communautés libres » d’ouvriers pour qui le progrès loué de manière unanime par le reste de la société consistait pour eux à travailler douze heures par jour dans les vapeurs toxiques pour un salaire de misère et où l’on faisait ramper des enfants de 12 ans sous les machines lorsqu’un tissu les bloquait pour ne pas avoir à les arrêter et perdre ainsi de l’argent, au risque bien entendu que l’enfant se fasse déchiqueter par la machine. Ce que j’avais trouvé touchant, c’était que même s’ils l’ignoraient, leur repli dans ces communautés libres où ils s’expurgeaient de tous les faux besoins jusqu’à abandonner leurs vêtements pour se faire nudistes, ressemblaient fort à une quête du paradis perdu, une tentative de revenir au temps d’avant le péché originel. A ma connaissance deux livres évoquent cet épisode quasi-inconnu de l’histoire, Les milieux libres de Céline Beaudet (éditions libertaires) et Expériences de vie communautaire anarchiste en France de Tony Legendre (même éditeur) qui traite du milieu libre de Vaux et de la colonie naturiste et végétalienne de Bascon qui a duré jusqu’en 1951. Le formidable écrivain Albert T’Serstevens a quant à lui écrit le seul roman sur le sujet, Un Apostolat, qui raconte l’échec d’une de ces communautés. Le livre va être réédité dans quelques mois aux éditions du Rocher.
Vous rendez bel hommage aux luddismes dans les Evangiles du Lac. Pour vous, cette réaction populaire garde son actualité face aux dérives du « progrès » et des sciences ?
Je suis fasciné par le mouvement luddite qui avait spontanément compris toutes les implications du progrès en effet. Et à propos du progrès, je ne crois pas qu’on puisse parler de « dérives ». Le progrès porte en lui ses effets positifs et négatifs dans le même temps, indépendamment de l’usage que l’on en fait, c’est ce que l’on refuse aujourd’hui de voir. L’ânerie consiste à croire que tout progrès est souhaitable. Certains apportent plus qu’ils ne détruisent et on peut alors les adopter. Mais d’autres détruisent plus qu’ils n’apportent et il est du coup criminel de les adopter. Au fond tout le problème réside dans le fait que le progrès est devenu une religion, un dogme indiscutable. Pour ma part, je pense qu’il faudrait aujourd’hui saccager les laboratoires des docteurs Folamour de l’intelligence artificielle et du bidouillage génétique qui sont une vraie folie furieuse.
Vos racines alsaciennes sont pour vous une source d’inspiration ?
Oui, certainement. L’humour d’abord, est très alsacien. Une forme de gaité tragique aussi. Et puis il y a la langue. Je m’amuse souvent à pêcher des expressions alsaciennes que je retranscris en français dans mes livres. L’alsacien est une langue de paysan, très imagée, très verte aussi, avec une quantité invraisemblable d’insultes fleuries et très drôles. Moi qui ai la nostalgie de la langue médiévale, moins précise que celle dont on a hérité du Grand Siècle mais terriblement plus concrète et plus colorée, j’ai parfois l’impression de la retrouver dans le dialecte alsacien (que je ne parle pas vraiment du reste)…
De l’Ecosse à la Catalogne, le nationalisme/régionaliste s’affirme au sein de l’Union Européenne, quel est votre avis sur ce phénomène ?
Pour vous dire la vérité, je n’ai pas d’idées arrêtées là-dessus. L’indépendance de la Catalogne et de l’Ecosse serait évidemment le point de départ du délitement des nations et du triomphe d’une Europe qui demeure un ectoplasme, et dont je ne crois pas qu’elle pourrait être autre chose qu’un ectoplasme Pour ma part, je suis tiraillé entre deux fidélités, l’alsacienne mais aussi la française qui m’a donné ma langue et mon histoire. La seule raison qui pourrait me faire vouloir l’éclatement des nations, c’est le sauve-qui-peut généralisé. Chacun rentre chez soi avec des fusils et verrouille la porte pour essayer de s’en sortir au mieux.
Propos recueillis par Louis Alexandre
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par Christopher Gérard
Ex: http://archaion.hautetfort.com
Moins de deux ans après le magnifique et très-subversif L’Homme surnuméraire, le Nantais Patrice Jean propose son cinquième roman, Tour d’ivoire, dont le décor, et en fait l’un des personnages principaux, est Rouen, la ville de Gustave Flaubert. Comme dans son précédent roman, le héros, Antoine, est un déclassé, un lettré « surnuméraire » qui a fait le choix de la pauvreté volontaire pour se consacrer, stricto sensu, à une revue littéraire, confidentielle comme son nom l’indique, Tour d’ivoire. Un raté en somme, selon les critères aujourd’hui en vogue, qu’accompagne son ami ( ?) Thomas, encore plus intraitable sur la pureté de l’engagement en faveur de l’art pour l’art. Tout le roman tourne autour du dialogue, tantôt véhément, tantôt muet, entre ces deux hommes : faut-il céder, ne fût-ce que d’un pouce, aux sirènes, même postmodernes ?
Antoine a donc choisi l’obscurité, décevant ainsi son épouse, qui le largue (et cesse de jouer au mécène) et, bientôt, sa fille Blandine, que viendra consoler l’attentionné Thomas. Il vivote dans un HLM de la Grand’Mare (hilarants tableautins du « vivre-ensemble ») et se contente de CDD à la médiathèque Arthur Rainbow (!), l’un des décors du roman – prétexte pour l’auteur à une description aussi comique que glaçante du dispositif d’infantilisation des masses et de leur encadrement « culturel ». Notre bibliothécaire tranche d’avec ses jeunes collègues, acquis à la culture du divertissement et conscients de leur rôle dans le dressage « citoyen » de leurs usagers. Il fera, ô surprise, l’objet d’une dénonciation en règle pour un article littéraire de sa revue consacré à un écrivain qui, dans un français parfait, ose évoquer l’actuel chaos migratoire et ses conséquences sans l’enthousiasme ni la cécité de commande.
Avec un calme courage, Patrice Jean s’attaque à la doxa dominante, usant tour à tour de la cruauté du polémiste et de la douceur toute en sensibilité de l’artiste - un tueur en dentelles. L’une des questions qu’il pose est celle de la place de la culture authentique, vécue non comme docile consommation de produits estampillés culturels mais bien comme quête désintéressée du beau et du vrai, comme métamorphose. Comment résister à la méthodique profanation de la littérature ? Comment éviter son fatal déclassement dans un monde où l’argent est tout, où l’industrie culturelle dicte le mauvais goût et la bonne pensée : « A quoi bon psalmodier le bréviaire de l’exigence spirituelle dans un monde livré au néant de la matière, sous le soleil de la marchandise victorieuse, à l’ombre du divertissement ricaneur ? »
Doué d’un jolie vis comica, l’impeccable styliste qu’est Patrice Jean* réussit ses descriptions de types humains, comme le progressiste, qui, pour recevoir une gratification narcissique (« susucre ») affiche de manière pavlovienne sa « révolte » au service du Bien (« papatte ») et qui, dans un désir éperdu de Vertu, s’arroge le pouvoir de cataloguer, et donc de condamner, une personne, même inconnue de lui, selon l’idée qu’il se fait d’elle, au gré de ses humeurs ou de ses intérêts : « En ce monde perdu, est-il plus sotte façon, plus lâche posture, que celle où l’on abdique la dignité du doute pour revendiquer, moralement, la supériorité d’être dans le vrai et le bien, au-delà des interrogations, dans le confort d’un choix juste et solide, jamais remis en cause ? »
Nihil novi depuis Tartuffe & Trissotin, certes, mais, aujourd’hui, ces ligues de rééducation, véritables bataillons de termites, sont légion, et servies par l’électronique, et défendues par des élites de pacotille.
Tout cet ambitieux roman, rédigé dans une langue limpide, charpentée par un compagnon du devoir devenu maître, pousse le lecteur à s’interroger sur notre crépuscule et sur la nature de la littérature comme défense et illustration du monde invisible, comme quête ascétique d’une forme d’excellence.
Christopher Gérard
Patrice Jean, Tour d’ivoire, Editions rue Fromentin, 244 pages, 21€.
* J’ai buté sur une seule scorie : un « tacler » par trop journalistique … sans doute utilisé avec ironie.
Que nenni ! En près de trois cents pages, Patrice Jean, philosophe qui enseigne dans un lycée de Saint-Nazaire, livre avec L’Homme surnuméraire un grand roman, qui restera tant que subsistera, horresco referens, une élite raffinée. Double, et même triple, ce roman se révèle celui d’un virtuose de la narration, qui parvient sans peine aucune à enchâsser deux récits complémentaires en gommant toute trace d’échafaudage. Le premier narre la trahison vécue par un père de famille, agent immobilier de son état, un brave homme que sa femme et ses enfants trouvent trop ringard à leur (détestable) goût et abandonnent au bord du chemin comme un animal de compagnie qui aurait fait son temps. Pour pouvoir fréquenter des charlatans de l’Université, sa femme le quitte sur les conseils de sa meilleure amie, une écervelée ; de honte, ses enfants ne lèvent même plus leur regard sur lui. Serge Le Chenadec est ce petit-bourgeois de province, ce rescapé du monde d’avant ostracisé et nié par des mutants et qui, un moment tenté par le suicide (Quai Voltaire, à deux pas de l’appartement où se donna la mort Henry de Montherlant), vivra une sorte de miracle en retrouvant une amie de lycée, Chantal, vieille fille sans charme qui pratique, elle, le plus pur amour oblatif. Mais cette belle histoire n’est qu’un roman… qui agit, et comment !, sur les personnages de l’autre roman contenu dans l’œuvre. Ceux-ci, des intellectuels prolétarisés (une enseignante et un nègre, pardon un rewriter), dérivent, l’une en acceptant les avances d’un immonde mandarin de l’imposture matérialiste et égalitaire, le Grand Universitaire (traduit en vingt-quatre langues) qui annone Derrida & Genette à tout bout de champ, l’autre en pasteurisant, narines bouchées, des chefs-d’œuvre de la littérature, expurgés de tout élément sexiste, xénophobe, blablabla. Sombreront-ils avec leur époque ?
Roman subversif en diable, L’Homme surnuméraire tranche, entre autres, par le calme courage avec lequel son auteur pulvérise le dispositif académique de contrôle littéraire, ses stratégies d’intimidation, son stérilisant jargon, ses cuistres, mixtes de Trissotin, Tartuffe et Torquemada naguère dénoncés par Michel Mourlet. Entre les technocrates de la culture, hommes de pouvoir pratiquant la morbide accumulation d’un savoir désincarné, et les hommes en trop, grains de diamant qui rayent les rouages de la méga-machine, Patrice Jean choisit le camp de la liberté, suivant en cela les traces de Gombrowicz, cité en exergue du roman : « l’art devra se débarrasser de la science et se retourner contre elle ». Souvent hilarant, toujours émouvant, il excelle dans l’art de la satire, par le truchement d’une ironie suprêmement socratique et d’un style limpide. Plus grave, il défend, contre l’abaissement spirituel, un héritage fondé non sur le morcellement et la séparation post-modernes, mais bien sur « l’agglomération, la construction, la permanence ».
L’Homme surnuméraire ? Un splendide exemple de subversion classique, un livre romain.
Christopher Gérard
Source : archaion.hautetfort.com
Patrice Jean, L’Homme surnuméraire, Editions rue Fromentin, 276 pages, 20€.
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Après Nietzsche, Benny Lévy et Pierre Boutang, Rémi Soulié continue sa pérégrination littéraire avec un recueil de méditations, d’aphorismes et de réflexions au titre énigmatique. Par « racination », il part en quête de nos racines généalogiques (ne parle-t-on pas d’« arbre » ?), anthropologiques et culturelles de la pérennité albo-européenne. Il juge ce terme préférable à celui d’« identité ». « Dans la démocratie marchande, l’identité est une part de marché et de l’« offre politique » parmi d’autres, comme la sécurité ou la souveraineté, ni plus, ni moins (p. 81). »
Il devine et s’inquiète en effet de l’acception explosive qu’il recèle parce qu’« il est aussi une façon haineuse de vivre son particularisme et son universalisme (p. 105) ». « Dès lors que l’affirmation identitaire est une réaction aux flux, à la mondialisation hors-sol, poursuit-il, elle reste prisonnière des termes qu’elle combat, comme la contre-révolution de la révolution ou l’alter-mondialisme de la mondialisation (p. 84). »
Ces objections n’empêchent pas Racination d’être un bel hymne chthonien aux terroirs, en particulier au Rouergue natal de l’auteur. Originaire de Decazeville, ville de charbon, Rémi Soulié se considère « par nomination, un autochtone, un indigène (p. 36) ». En ces temps de tyrannie douçâtre, c’est osé et courageux. Son cas s’aggrave en puisant chez Vico, Hölderlin et Heidegger. En outre, crime ô combien suprême !, il clame son amour charnel pour le cher Pays noir; cette patrie charnelle où « la francisation y fut tardive et l’occitan parlé plus pur (p. 64) ».
Occitanophone, l’auteur en devient d’autant plus suspect aux yeux du républicanisme hexagonal sourcilleux. Ainsi dépeint-il « Marianne, la femme sans corps, lestée de son poids de chair, la femme de tête, la vache barriolée de Zarathoustra (p. 136) ». L’effervescence patriotarde ne fascine pas ce lointain compatriote de Louis de Bonald. « Au sens moderne donc révolutionnaire, jacobine, républicain, français, la nation se réduit à une idée et à une volonté, peau de chagrin qui ne garde même plus le souvenir de la gens non plus que du peuple, auxquels ont été substitués des artefacts agglomérés. Au peuple fictif une souveraineté et des droits fictifs; rapt puis viol des libertés réelles et des franchises au pays des Francs (p. 73). »
Oui, cette République à vocation universaliste et cosmopolite infecte la France, pervertit son esprit et corrompt ses peuples natifs. Elle participe au désenchantement de l’Hexagone et à sa dépolitisation. « On ne mesure sans doute pas, avant la République, ce que nous fit perdre un roi qui se déclara “ Roi des Français ” et non plus “ Roi de France ”, comme si un roi ne l’était pas aussi des sources et des forêts, des fées et des montagnes, des ciels et des chemins (pp. 104 – 105). » Conséquence de l’« insupportable modernité de la nation et, a fortiori, du nationalisme, dont sont exempts la cité, l’empire et le royaume : la prose des codes y a défait la poésie des fées (p. 76) ». Nous payons au prix fort la traîtrise de l’usurpateur Louis-Philippe d’Orléans et de l’idée impériale plus que mitigée de Napoléon Ier, empereur des Français.
L’auteur raille donc avec justesse « un pléonasme, la “ société ouverte ”, conçue comme un antipode symbolique de la “ communauté ” (p. 17) ». Cette dernière est en réalité synonyme d’enracinement. Rémi Soulié n’hésite pas à en rappeler la signification. « L’enracinement désigne rien moins, pour les mortels, que l’identité de l’être et de l’habitation (p. 26). » Par ailleurs, il « implique une dimension communautaire et organique, mais, aussi, la conscience d’un héritage à faire fructifier, donc, la mémoire d’une dette à l’endroit de ceux qui nous ont précédés : l’homme se pense lui-même comme un débiteur, non un créancier, un homme de devoirs avant d’être un sujet de droits (pp. 24 – 25) ».
Attention, toutefois, pas de méprise, ni d’amalgame ! Racination n’est nullement un manifeste politique. C’est plutôt un questionnement poétique dans son sens étymologique primordial, à savoir poiesis (« faire, créer »), afin de réagir au chaos ambiant. « Faute de poètes […] il est impossible que l’ordre règne, le poème étant la véritable “ force de l’ordre ” (p. 109). » Le recours poétique s’impose au moment où « le règne antéchristique se caractérise par la volonté de réaliser le paradis – falsifié, par nature – sans Dieu et d’instaurer le règne de l’Homme – sans Dieu -, donc, de la Bête (p. 161) ».
Rémi Soulié pose ainsi les prolégomènes d’un « État poétique », précurseur d’un « Empire du Soleil » si cher à Frédéric Mistral. Loin, bien loin, très loin donc des remugles politiciens et de l’écume électoraliste…
Georges Feltin-Tracol
• Rémi Soulié, Racination, Pierre-Guillaume de Roux, 2018, 210 p., 23 €.
09:49 Publié dans Littérature, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : rémi soulié, racination, racines, enracinement, livre, littérature, littérature française, lettres, lettres françaises | |
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« Robert Denoël avait toutes les qualités d’un grand éditeur
et on peut rêver à ce qu’eût été son destin
si la guerre, suivie de cette mort tragique,
n’avait pas mis un terme à une vocation contrariée
par les vicissitudes du temps »
La carrière d’éditeur de Robert Denoël débute le 30 juin 1928 et s’achève le 2 décembre 1945. Durant ces dix-sept années d’activité, il a publié quelque 700 livres à différentes enseignes. Il fût l’éditeur de Louis-Ferdinand Céline et pour cela, assassiné à la fin de la IIe Guerre mondiale. Qui était vraiment Robert Denoël ? On trouvera des réponses à la question dans cette enquête ; Jean Jour s’est attaché à remonter aux sources, tout homme étant le fruit de ses origines et de son éducation. Pour cette figure secrète et sulfureuse de l’édition, il s’agissait de s’affranchir d’un milieu provincial figé : celui de la bourgeoisie catholique des années vingt : à travers son existence tumultueuse, ce sont tous les dessous terribles de l’édition, des années de guerre, des règlements de comptes politiques et financiers qui nous sont racontés avec talent par un auteur qui n’a cure du politiquement correct.
Préface de Marc Laudelout, directeur du Bulletin célinien, du livre de Jean Jour Robert Denoël, un destin, désormais disponible aux éditions Dualpha.
Alors que Bernard Grasset, Gaston Gallimard ou René Julliard ont depuis belle lurette leur biographe, aucune étude approfondie n’existe encore sur Robert Denoël. Le livre de l’Américaine Louise Staman, paru en 2002, s’attache surtout à éclaircir le mystère de son assassinat. C’est dire si Jean Jour s’aventure sur un terrain en friche et manifestement périlleux, compte tenu des circonstances de la disparition de cet éditeur.
Tragique destin que celui de ce jeune Liégeois qui n’aura pu exercer sa profession que durant une quinzaine d’années. Pour beaucoup, il demeure le découvreur de Céline auquel son nom demeure associé. Et pourtant nombreuses sont les œuvres importantes du XXe siècle qu’il aura publiées : L’Hôtel du Nord d’Eugène Dabit, Héliogabale d’Artaud, Tropismes de Nathalie Sarraute, Les Beaux Quartiers d’Aragon, Les Décombres de Rebatet, Le Bonheur des tristes de Luc Dietrich, Les Marais de Dominique Rolin, Notre-Dame des Fleurs de Jean Genet, pour ne citer que les plus connues.
On a parfois traité Denoël d’opportuniste. C’est ne pas voir qu’il fut viscéralement éditeur, très tôt soucieux de diversifier sa production, de publier des livres de qualité à une époque où la concurrence était rude, et d’assurer la pérennité de sa maison. Il réussit même à damer le pion à ses illustres confrères dans la course aux prix littéraires, récoltant sept Prix Renaudot – dont le fameux Voyage au bout de la nuit – en une décennie. Il fut aussi l’un des premiers éditeurs à publier des textes psychanalytiques, notamment ceux de René Allendy, Otto Rank et Marie Bonaparte.
Jean Jour a raison d’écrire que sa vie d’éditeur se caractérisa par une incessante course à l’argent. Toujours sur le fil du rasoir, Denoël n’eut jamais les moyens de ses ambitions. C’est sans doute ce qui le perdit, étant sans cesse contraint de faire des concessions. Ceci concerne tout aussi bien la diffusion de ses livres que la publication de titres plus ou moins imposés par les circonstances, ou, plus fâcheux encore, la cession de parts de sa société à des tiers qui se révéleront encombrants, voire dangereux.
Il dut également se colleter à Céline. On sait que son auteur vedette n’était guère accommodant, ne craignant pas de mettre en péril la survie même de la maison d’édition par une redoutable avidité pécuniaire. Lorsqu’en 1936, Céline adresse, par huissier, une assignation en bonne et due forme à son éditeur, celui-ci le met en garde : « Si vous persistez dans votre attitude, vous réussirez simplement à me jeter par terre, sans obtenir un franc. En effet, l’affaire Denoël & Steele est hypothéquée pour 200 000 frs et elle doit 50 000 frs au fisc. Quand on aura vendu aux enchères, il ne restera rien pour les autres créanciers. Les bouquins se vendront au camion à raison de 80 frs les 1 000 kilos et tout le bénéfice que vous en aurez tiré sera d’avoir ruiné un homme qui, peut-être, vous a fait quelque bien. »
Terrible aveu qui montre à quel point Denoël se trouve alors tenaillé entre une situation financière difficile et le manque de souplesse de Céline qui se vantera plus tard d’avoir été l’auteur le plus exigeant sur le marché. Mais s’il abreuvait volontiers son éditeur de sarcasmes, cela ne l’empêchera pas, plus tard, de lui rendre un juste hommage : « Un côté le sauvait… il était passionné des Lettres… il reconnaissait vraiment ce travail, il respectait les auteurs. »
Nul éloge comparable, sous la plume de Céline, à l’égard de Gaston Gallimard, faut-il le préciser ?
Qui était vraiment Robert Denoël ? On trouvera des réponses à la question dans cette enquête qui s’est attachée à remonter aux sources, tout homme étant le fruit de ses origines et de son éducation. Le fait que Jean Jour soit également natif de Liège lui aura permis de mieux appréhender cette figure secrète. Il s’agissait aussi de comprendre cette volonté farouche de s’affranchir d’un milieu provincial figé : celui de la bourgeoisie catholique des années vingt.
Et si Denoël a marqué l’histoire littéraire des années qui ont suivi, c’est grâce à une forte personnalité qui lui permit de vaincre bien d’obstacles : « Le physique de l’homme traduit le caractère. Tête romaine, figure romantique, mais empreinte d’énergie. Les yeux observateurs, sous les lunettes, pétillent d’esprit ». Ainsi le voit un compatriote venu lui rendre visite dans son bureau directorial, trois ans seulement avant sa disparition.
Robert Denoël avait toutes les qualités d’un grand éditeur et on peut rêver à ce qu’eût été son destin si la guerre, suivie de cette mort tragique, n’avait pas mis un terme à une vocation contrariée par les vicissitudes du temps.
Journaliste, Jean Jour (1937-2016) est né sur l’île d’Outremeuse, à Liège, patrie de Simenon, et en a retenu tout le côté pittoresque. Il est l’auteur d’une cinquantaine de livres très divers et a traduit plusieurs romans américains.
Robert Denoël, un destin de Jean Jour, éditions Dualpha, collection «Vérités pour l’Histoire», dirigée par Philippe Randa, 246 pages, 27 euros. Nombreuses illustrations. Pour commander ce livre, cliquez ici.
11:26 Publié dans Littérature, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, jean jour, robert denoël, louis-ferdinand céline, céline, france, littérature, littérature française, lettres, lettres françaises, marc laudelout | |
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par Christpher Gérard
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11:48 Publié dans Hommages, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jean-claude albert-weil, littérature, lettres, lettres françaises, littérature française | |
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Not reading many contemporary French novels, I am not entitled to say that Michel Houellebecq is the most interesting French novelist writing today, but he is certainly very brilliant, if in a somewhat limited way. His beam is narrow but very penetrating, like that of a laser, and his theme an important, indeed a vital one: namely the vacuity of modern life in the West, its lack of transcendence, lived as it is increasingly without religious or political belief, without a worthwhile creative culture, often without deep personal attachments, and without even a struggle for survival. Into what Salman Rushdie (a much lesser writer than Houellebecq) called “a God-shaped hole” has rushed the search for sensual pleasure which, however, no more than distracts for a short while.
Something more is needed, but Western man—at least Western man at a certain level of education, intelligence and material ease—has not found it. Houellebecq’s underlying nihilism implies that it is not there to be found. The result of this lack of transcendent purpose is self-destruction not merely on a personal, but on a population, scale. Technical sophistication has been accompanied, or so it often seems, by mass incompetence in the art of living. Houellebecq is the prophet, the chronicler, of this incompetence.
Even the ironic title of his latest novel, Sérotonine, is testimony to the brilliance of his diagnostic powers and his capacity to capture in a single word the civilizational malaise which is his unique subject. Serotonin, as by now every self-obsessed member of the middle classes must know, is a chemical in the brain that acts as a neurotransmitter to which is ascribed powers formerly ascribed to the Holy Ghost. All forms of undesired conduct or feeling are caused a deficit or surplus or malalignment of this chemical, so that in essence all human problems become ones of neurochemistry.
On this view, unhappiness is a technical problem for the doctor to solve rather than a cause for reflection and perhaps even for adjustment to the way one lives. I don’t know whether in France the word malheureux has been almost completely replaced by the word déprimée, but in English unhappy has almost been replaced by depressed. In my last years of medical practice, I must have encountered hundreds, perhaps thousands, of depressed people, or those who called themselves such, but the only unhappy person I met was a prisoner who wanted to be moved to another prison, no doubt for reasons of safety.
Houellebecq’s one-word title captures this phenomenon (a semantic shift as a handmaiden to medicalisation) with a concision rarely equalled. And indeed, he has remarkably sensitive antennae to the zeitgeist in general, though it must be admitted that he is most sensitive to those aspects of it that are absurd, unpleasant, or dispiriting rather than to any that are positive.
Houellebecq satirises what might be called the neurochemical view of life which is little better than superstition or urban myth. The protagonist and narrator of Sérotonine, an early-middle aged agronomist whose jobs, though rewarding enough financially, have always seemed to him unsatisfactory or pointless. He suffers from the unhappiness that results from his inability to form a long-lasting relationship with a woman, instead having a series of relationships which he sabotages by his impulsive sensation-seeking behaviour. This man goes to a doctor to obtain more of his Captorix, a fictional new serotonergic anti-depressant. The doctor, without enquiring into the circumstances of his life, says to him:
What’s important is to maintain the serotonin at the correct level–then you’ll be all right–but to lower the cortisol and perhaps raise the dopamine and the endorphins would be the ideal.
This is the kind of debased scientistic language that can be heard on conversations on any bus, and reminds me strongly of Peter D Kramer’s preposterous book, Listening to Prozac, which some years back persuaded the public that we are on the verge of understanding so much neurochemistry that we shall soon be able to design our own personalities by means of self-medication.
The novel lacks even the semblance of a plot, being more the fictional memoir of the chagrins of a man (one suspects) very much like the author himself. The protagonist, Florent-Claude (a ridiculous name that he hates) has been in love twice, but has both times ruined the relationship by a quick fling with a passing young woman. Although he has become dependent, at least psychologically, on his Captorix (incidentally, but not coincidentally, a very plausible name for a new drug), he recognises at the end of the book that he is the victim-participant of a culture in which monogamy is hardly to be expected. Speaking of the failure of his relationships, he says:
I could have made a woman happy… In fact, two; I have already told you which. Everything was obvious, extremely obvious, from the first; but we didn’t realise it. Had we surrendered to illusions of individual freedom, of the open life, the infinity of possibilities? That could be, these ideas were in the spirit of the times; we hadn’t formalised them, we hadn’t the desire to do so; we were content to conform to them, to allow ourselves to be destroyed by them.
For me the pleasure of reading Houellebecq is not in the plot, still less in the characterisation which is thin because the protagonist-narrator is so egotistical that he has little interest in anyone else (a trait which we are clearly intended to believe is widespread or even dominant in the modern world). It is rather in the mordant observations that Houellebecq makes on consumerism and its emptiness. Here, for example, Florent-Claude meets Yuku, his former Japanese girlfriend living in Paris, at an airport in Spain where he is temporarily living:
I knew her luggage very well, it was a famous brand that I had forgotten, Zadig and Voltaire or perhaps Pascal and Blaise, whose concept had been to reproduce on its material one of those Renaissance maps in which the landmass was represented very approximately, with a vintage legend reading something like ‘Here be tygers’, anyway it was chic luggage, its exclusivity reinforced by its lack of the little wheels that the vulgar Samsonite cases middle managers have, so it was necessary to wrestle with it, just like with the elegant trunks of the Victorian era.
He continues:
Like all the other countries of Western Europe, Spain was engaged on the mortal struggle to increase productivity and had suppressed all the unskilled jobs that formerly helped to make life a little less disagreeable, at the same time condemning the greater part of its population to mass unemployment. Luggage like this, whether it was Zadig and Voltaire or Pascal and Blaise, only had sense in a society in which porters still existed.
In this passage, with typical economy, Houellebecq skewers both the shallowness of a culture in which people obtain their sense of themselves from the visible labels or brands of their possessions, and the absurd but intractable contradictions of our political economy. He of course proposes no solution (perhaps there is none), but it is not the purpose of books such as his to propose solutions. It is enough if he opens our eyes to the problem.
His mordant observations make many people extremely uncomfortable, not because they are inaccurate, but because they are only too accurate and could conceivably lead to unpleasant conclusions, or at least thoughts. They therefore reject the whole: it is the easiest way to deny what one knows to be true. In the following passage, for example, the protagonist (or Houellebecq) describes the owner of a bar in Northern France who has just spent his time—of which there was much—in minutely reading the local newspaper:
The owner had finished Paris-Normandie [the local newspaper] and had launched on just as close a reading of France Football, it was a very thorough reading, such reading exists, I have known people like that who are not satisfied by reading just the headlines, the statements of Édouard Philippe [the current Prime Minister of France] or the amount of Neymar’s transfer fee [Neymar is a famous Brazilian footballer], but want to get the bottom of things; they are the foundation of enlightened opinion, the pillar of representative democracy.
Houellebecq runs an abattoir for sacred cows.
What can be said against his misanthropic, completely disabused view of the modern world? His sex scenes, which for those who have read several of his books now seem like a tic or the public confession of his own deepest fantasies, imply that sex is (and can be) nothing but the brief satisfaction of an urgent desire, as mechanical in its operation as that of a cement mixer. More importantly, it might be said that he concentrates only on the worst aspects of modernity, its spiritual emptiness for example, without acknowledgement of the ways in which life has improved. But this is like objecting to Gulliver’s Travels on the same grounds.
His work, not least Sérotonine, is filled with disgust, as was Swift’s: but it is the kind of disgust that can only emerge from deep disappointment, and one is not disappointed by what one does not care about. There is gallows humour on every page: the personage hanged being Western civilisation.
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Propos recueillis par Christopher Gérard
Ex: http://archaion.hautetfort.com
La parution d'un joli recueil de textes dédié à la mémoire du cher Michel Déon est l'occasion rêvée de sortir de mes archives ce bel entretien accordé par Pierre Joannon en 2006 pour la défunte NRH.
- Christopher Gérard : Pierre Joannon, vous êtes le spécialiste incontesté de l’histoire de la Verte Erin et de ses habitants. On ne compte plus les ouvrages que vous avez rédigés, dirigés et préfacés sur ce pays qui fascine tant les Français. Vous publiez ces jours-ci aux Editions Perrin, une monumentale Histoire de l’Irlande et des Irlandais de près de sept cents pages. D’où vous est venue cette passion pour l’Hibernie ? Seriez-vous la réincarnation lointaine d’un barde gaël ?
- Pierre Joannon : Navré de vous décevoir ! Aucune goutte de sang irlandais ne coulait dans mes veines jusqu’à une date récente. En 1997, le Taoiseach(Premier ministre) de l’époque a dû sans doute estimer qu’il y avait là une lacune à combler, et il me fit octroyer la nationalité irlandaise, une reconnaissance dont je ne suis pas peu fier. On peut en tirer deux observations : que l’Irlande sait reconnaître les siens, et qu’on peut choisir ses racines au lieu de se contenter de les recevoir en héritage ! D’où me vient cette passion pour l’Irlande ? D’un voyage fortuit effectué au début des années soixante. J’ai eu le coup de foudre pour les paysages du Kerry et du Connemara qui correspondaient si exactement au pays rêvé que chacun porte en soi sans toujours avoir la chance de le rencontrer. Et le méditerranéen que je suis fut immédiatement séduit par ce peuple de conteurs disert, roublard et émouvant, prompt à passer du rire aux larmes avec un bonheur d’expression qui a disparu dans nos sociétés dites évoluées. L’histoire de cette île venait à point nommé répondre à certaines interrogations qui étaient les miennes au lendemain de la débâcle algérienne. Je me mis à lire tous les ouvrages qui me tombaient sous la main, tant en français qu’en anglais. Etudiant en droit, je consacrais ma thèse de doctorat d’Etat à la constitution de l’Etat Libre d’Irlande de 1922 et à la constitution de l’Eire concoctée par Eamon de Valera en 1937. Un premier livre sur l’Irlande, paru aux Editions Plon grâce à l’appui bienveillant de Marcel Jullian, me valut une distinction de l’Académie Française. A quelques temps de là, le professeur Patrick Rafroidi qui avait créé au sein de l’Université de Lille un Centre d’études et de recherches irlandaise unique en France, m’offrit de diriger avec lui la revue universitaire Etudes Irlandaises. En acceptant, je ne me doutais guère que j’en assumerai les fonctions de corédacteur en chef pendant vingt-huit ans. Je publiais, dans le même temps plusieurs ouvrages sur le nationalisme irlandais, sur le débarquement des Français dans le comté de Mayo en 1798, sur de Gaulle et ses rapports avec l’Irlande dont étaient originaires ses ancêtres Mac Cartan, sur Michael Collins et la guerre d’indépendance anglo-irlandaise de 1919-1921, sur John Hume et l’évolution du processus de paix nord-irlandais. J’organisais également plusieurs colloques sur la Verte Erin à la Sorbonne, au Collège de France, à l’UNESCO, à l’Académie de la Paix et de la Sécurité Internationale et à l’Université de Nice. Enfin, en 1989, je pris l’initiative de créer la branche française de la Confédération des Ireland Funds, la plus importante organisation internationale non gouvernementale d’aide à l’Irlande réunissant à travers le monde Irlandais de souche, Irlandais de la diaspora et amis de l’Irlande. Vecteur privilégié de l’amitié entre nos deux pays, l’Ireland Fund de France que je préside distribue des bourses à des étudiants des deux pays, subventionne des manifestations culturelles d’intérêt commun et participe activement à l’essor des relations bilatérales dans tous les domaines. Ainsi que vous pouvez le constater, l’Irlande a fait boule de neige dans ma vie, sans que cela ait été le moins du monde prémédité. Le hasard fait parfois bien les choses.
- C. G. : Pourquoi ce titre Histoire de l’Irlande et des Irlandais ? N’est-il pas un peu redondant ?
- P. J. : Nullement. On peut disserter sur l’Irlande, sur la France, et succomber par excès de conceptualisation aux idées reçues, aux stéréotypes. Revenir aux composantes de la population oblige à prendre en compte une réalité qui résiste aux simplifications abusives. Pour comprendre cette histoire pleine de bruit et de fureur, il faut restituer aux Irlandais la diversité et la complexité qui caractérise leurs origines : Gaels, Vikings, envahisseurs normands, Anglo-normands plus ou moins hibernisés, Vieux Anglais catholiques, colons cromwelliens et williamites, Ecossais d’Ulster, « mere Irish » soumis ou rebelles, catholiques inféodés au Château de Dublin, Anglo-irlandais convertis au nationalisme ou piliers de l’unionisme, descendants de Huguenots, fidèles de la Church of Ireland ou protestants non-conformistes, suppôts de l’Ordre d’Orange ou de l’Ancient Order of Hibernians, Irlandais de souche ou de la diaspora, nombreux sont les alluvions qui ont fait de ce peuple ce qu’il est devenu. Lorsqu’on parle des Irlandais, il convient toujours de se demander « Mais de qui parle-t-on exactement ? ».
- C. G. : Est-ce à cause de cette diversité que les Irlandais semblent traverser, à intervalles réguliers, une crise d’identité qui les pousse à chercher une réponse à cette lancinante interrogation « What does it mean to be Irish ? ».
- P. J. : Sans aucun doute. Et ce trait que vous soulignez n’est pas nouveau. Dans Henri V, pièce écrite aux alentours de 1599, Shakespeare fait dire au capitaine irlandais MacMorris : « What ish my nation ? » - Qu’est-ce que ma nation ? C’est la première expression littéraire de cette crise d’identité qui, sous des formes diverses, est une des constantes de l’histoire irlandaise. Le poète Seamus Heaney, Prix Nobel de littérature, ne dit pas autre chose lorsqu’il écrit : « Notre île est pleine de rumeurs inconfortables ». Cette volonté de refuser l’embrigadement imposé par des définitions en forme de pièges réducteurs exprime une identité en perpétuelle recherche de nouvelles formes. Chemin faisant, les Irlandais d’aujourd’hui ont enfin tordu le cou à ce complexe d’ex-colonisé qui les figeait dans une posture victimaire et un syndrome de ressentiment qui bridait leurs énergies. C’est patent en République d’Irlande, même si cela est moins évident dans cette Irlande du Nord occupée à panser les plaies de trente années de guérilla urbaine et d’affrontements inter-communautaires qui ont laissé dans les esprits des séquelles difficiles à évacuer.
- C. G. : Vous soulignez qu’il existe en Irlande deux traditions historiographiques, l’une nationaliste focalisée sur les rapports conflictuels avec l’Angleterre, l’autre moins isolationniste et plus européocentrique. Laquelle vous semble la plus pertinente ? Votre approche de l’histoire irlandaise a-t-elle évolué depuis 1973, date de votre premier essai sur la Verte Erin ?
- P. J. : Il existe, en effet, deux lectures complémentaires de l’histoire irlandaise. Il y a d’abord la lecture « traditionnelle » narrant la destinée d’un peuple conquis et colonisé entre le XIIe et le XVIIe siècle, qui s’efforce de s’émanciper tout au long du XIXe, utilisant pour cela la voie parlementaire aussi bien que l’insurrection ou la guérilla, et qui finira par obtenir son indépendance politique dans le premier quart du XXe siècle, au terme d’affrontements qui préfigurent le grand mouvement de décolonisation qui devait sonner le glas des empires coloniaux au lendemain de la seconde guerre mondiale. Et il y a une lecture « européocentrique », mettant en lumière la dialectique qui sous-tend toute l’histoire irlandaise, la faisant s’éloigner de l’Europe à mesure qu’elle s’intègre davantage à un monde britannique dont elle ne parvient pas à se dégager, et la faisant au contraire se tourner vers l’Europe et même s’agréger à elle dans la phase de recherche de son indépendance et, à plus forte raison, dans la phase d’affirmation de cette indépendance chèrement payée. Quant à savoir où je me situe, il est clair que l’on ne peut écrire l’histoire de l’Irlande en 2006 comme on le faisait à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix. il y a quarante ans, l’historiographie nationaliste, imprégnée de cette philosophie du ressentiment dont je parlais à l’instant, était toute puissante. On ne pouvait guère échapper à son influence. Aujourd’hui, les Irlandais ont pris du recul, des documents nouveaux ont été découverts et exploités, l’analyse d’éminents historiens comme Roy Foster ou Joseph Lee ont fait bouger les perspectives. En ce qui me concerne, peut-être suis-je moins crédule, moins naïf, moins déterministe dans mon approche. Je connais mieux l’Irlande. J’ai vieilli. Je pense être mieux armé intellectuellement pour restituer à cette histoire son épaisseur humaine et sa complexité sans tomber pour autant dans l’autre piège réductionniste du révisionnisme anti-nationaliste systématique qui a sombré dans le discrédit il y a une dizaine d’années environ.
- C. G. : Quelle est votre figure préférée de l’histoire irlandaise ?
- P. J. : Je suis bien en peine de vous répondre. Il existe tant de figures attachantes ou admirables : Parnell, Michael Collins, de Valera, John Hume aujourd’hui. Peut-être ai-je une prédilection pour Theobald Wolfe Tone, ce jeune avocat protestant qui fut, au dix-huitième siècle, « l’inventeur » du nationalisme irlandais après avoir échoué à intéresser les Anglais à un fumeux projet de colonisation. Il voulait émanciper les catholiques, mobiliser les protestants, liquider les dissensions religieuses au profit d’une conception éclairée de la citoyenneté, briser les liens de sujétion à l’Angleterre. Artisan de l’alliance franco-irlandaise il a laissé un merveilleux journal narrant ses aventures et ses intrigues dans le Paris du Directoire. On y découvre un jeune homme curieux, gai, aimant les femmes et le bon vin, fasciné par le théâtre et les défilés militaires, enthousiasmé par Hoche et beaucoup moins par Bonaparte. Capturé par les Anglais à la suite du piteux échec d’une tentative de débarquement français en Irlande, il sollicita de la cour martiale qui le jugeait la faveur d’être passé par les armes « pour avoir eu l’honneur de porter l’uniforme français ». Elle lui fut refusée : il fut condamné au gibet. La veille de l’exécution, il se trancha la gorge avec un canif et agonisa toute une semaine avant d’expirer le 19 novembre 1798.
- C. G. : James Joyce disait qu’il voulait, par son œuvre, « européaniser l’Irlande et irlandiser l’Europe ». N’est-ce pas ce qui se passe depuis une vingtaine d’année ?
- P. J. : Sans aucun doute. L’Irlande est devenue européenne. Et l’Europe lui a apporté beaucoup. Plus encore que des subventions, non négligeables, et la possibilité de dynamiser une économie en quête de débouchés, c’est le désenclavement des énergies et des mentalités, la fin d’un tête à tête oppressant qui se traduit par l’instauration d’une relation apaisée avec un voisin dont on se sent moins dépendant, le rattachement au continent d’une conscience libérée des pesanteurs de l’histoire et de la géographie, et la confiance que ce destin partagé finira par reléguer les violents soubresauts du Nord au magasin des vieilles querelles oubliées. Quant à l’irlandisation de l’Europe, elle va bon train. On fête la Saint Patrick du Nord au Sud du vieux continent. Les pubs irlandais fleurissent à tous les coins de rue. La littérature irlandaise est traduite en français, en italien, en espagnol. Les pièces de Frank Mc Guinness et de Brian Friel triomphent sur les scènes du monde entier. Neil Jordan décroche le Lion d’Or du Festival de Venise. Le groupe rock U2 se classe premier au hit parade international. Riverdancejoue à guichets fermés à Paris, à Londres, à Nice. Wilde, Joyce, Yeats, Beckett continuent de dominer de leur haute stature le corpus littéraire de notre temps. On pourrait multiplier les exemples.
- C. G. : Votre ami Michel Déon qui a préfacé votre belle biographie de Michael Collins s’insurge contre cette prospérité « qui s’abat sur l’Irlande comme la pédophilie sur le bas clergé ». Etes-vous sensible à ce danger qui pèse sur l’Hibernie ?
- P. J. : Bien sûr, tout n’est pas parfait dans ce pays en pleine mutation qu’est devenu l’Irlande. Le Tigre Celtique a bien des taches sur son pelage. Le jeune cadre dynamique qui descend Dawson Street, un téléphone portable collé à l’oreille, n’a plus grand chose en commun avec le baladin du monde occidental de Synge. Mais, entre les plaintes de la tradition et les mirages de la modernité, les Irlandais qui ont déjà triomphé de la misère et de l’auto-flagellation, sauront rester fidèles à l’idée qu’ils se font d’eux mêmes et que nous nous faisons d’eux. Du moins est-il permis de l’espérer !
11:11 Publié dans Entretiens, Histoire, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pierre joannon, michel déon, histoire, irlande, pays celtiques, entretien, littérature, littérature française, lettres, lettres françaises | |
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Entretien avec Christopher Gérard
Propos recueillis par Pierre Saint-Servan
Ex: http://archaion.hautetfort.com
Au mois de mars MMXV, à l’occasion de la réédition de mon roman Le Songe d’Empédocle, j’avais répondu aux questions de Pierre Saint Servan, critique littéraire et journaliste à Novopress. En voici le texte légèrement remanié.
Vous écrivez de votre héros, le jeune Padraig, « à quinze ans, il était déjà un émigré de l’intérieur ». Qu’a donc ce monde moderne pour susciter ainsi chez les esprits les plus vifs ou les plus sensibles un tel sentiment de rejet ? Ou peut-être que n’a-t-il pas ?
Comme le remarqueront les lecteurs du Songe d’Empédocle, le jeune Padraig est du genre à avoir « la nuque raide », pour citer l’Ancien Testament, une fois n’est pas coutume. Je veux dire que ses origines hiberniennes et brabançonnes ne prédisposent en rien cet homme archaïque à la soumission, fût-elle grimée en divertissement festif, ni à la docile acceptation des dogmes, quelle que soit leur date de fabrication. Druide et barde à la fois, il ne peut que suffoquer dans l’étouffoir spirituel que représente son époque, définie en ces termes par le regretté Philippe Muray : « Le grand bain multicolore du consentir liquéfiant ».
Eh bien, le Vieil-Européen qu’est Padraig ne consent ni ne baigne ! Il surnage en recrachant une eau souillée. L’inversion des valeurs, l’ostracisme contre toute verticalité, le règne des parodies, la prolétarisation du monde meurtrissent ce clerc obligé de vivre dans une clandestinité supérieure.
Vous le savez aussi bien que moi : il n’est jamais drôle de participer au déclin d’une civilisation. Dans son Introduction à la métaphysique, Martin Heidegger dit l’essentiel sur l’âge sombre qui est le nôtre : « Obscurcissement du monde, fuite des Dieux, destruction de la terre, grégarisation de l’homme, suspicion haineuse envers tout ce qui est créateur et libre ».
N’oublions pas non plus que notre ami Padraig vit à Bruxelles, capitale de la Fédération, dont la bureaucratie tentaculaire construit ce trou noir où s’évapore l’homme de chair et de sang…
Alors qu’elles irriguent toute votre œuvre et – nous le devinons – toute votre vie, comment fûtes-vous confronté à la culture antique et aux traditions européennes ? Cette eau irriguait-elle encore votre famille ou avez-vous dû remonter à contre-courant jusqu’à la source ?
La Belgique, nos voisins français l’ignorent souvent, est un pays fort singulier, difficile à comprendre, car encore très médiéval, traversé de clivages qui peuvent (à tort) prendre l’apparence de frontières : la langue, l’argent (comme partout), la sensibilité philosophique. On appartient au réseau catholique, soit au réseau laïc – ce qui conditionne le choix de l’école, de l’université, et donc du milieu fréquenté. Du conjoint aussi. Né dans un milieu déchristianisé depuis le XIXème siècle – des socialistes purs et durs qui, en 1870, par solidarité avec la Commune, descendirent dans la rue avec le drapeau rouge – je suis le fruit de l’école publique, et fier de l’être. J’ai étudié à l’Université de Bruxelles, créée peu après notre indépendance en réaction à la mainmise du clergé sur l’enseignement.
Par tradition familiale et scolaire, j’appartiens à ce milieu anticlérical (mais non plus socialiste, même si mon grand-père était, comme tant d’autres anciens combattants, monarchiste de gauche) qui a ses ridicules et ses grandeurs, comme la bourgeoisie catholique. Dès l’âge de douze ans, j’ai eu la chance d’étudier le latin à l’athénée (et non au collège – clivage oblige), un latin exempt de toute empreinte chrétienne : l’Antiquité, la vraie, la païenne, m’a donc été servie sur un plateau d’argent par des professeurs d’exception, de vrais moines laïcs que je ne manque jamais de saluer. Comme en outre, j’ai participé dès l’âge de treize ans à des fouilles archéologiques dans nos Ardennes, le monde ancien m’a très vite été familier.
J’en parle dans La Source pérenne, qui retrace mon itinéraire spirituel : en dégageant les ruines d’un sanctuaire païen du Bas Empire, en nettoyant tessons et monnaies de bronze portant la fière devise Soli invicto comiti, en reconstruisant les murs du fanum gallo-romain (car en plus d’être terrassier, j’ai aussi joué au maçon – l’archéologie comme humanisme intégral), j’ai pris conscience de mon identité profonde, antérieure. Ce paganisme ne m’a pas été « enseigné » stricto sensu puisque mon entourage était de tendance rationaliste. Je l’ai redécouvert seul… à moins que les Puissances – celles du sanctuaire ? – ne se soient servies de moi. Les lectures, les fouilles, le goût du latin puis du grec, des expériences de type panthéiste à l’adolescence dans nos forêts, tout cela a fait de moi un polythéiste dès l’âge de seize ans. Depuis, je n’ai pas dévié et n’ai aucunement l’intention de le faire : je creuse mon sillon, en loyal paganus.
Pendant près de dix années, vous avez repris le flambeau de la revue polythéiste Antaios. Dans quel esprit avez-vous plongé dans cette aventure ?
Durant mes études de philologie classique, j’avais découvert un exemplaire d’Antaios, la revue d’Eliade et de Jünger (1959-1971). Sa haute tenue, l’éventail des signatures (de Borges à Corbin) et cette volonté de réagir contre le nihilisme contemporain m’avaient plu. A l’époque, au début des années 80, le milieu universitaire se convertissait déjà à ce qu’il est maintenant convenu d’appeler « politiquement correct », expression confortable et passe-partout à laquelle je préfère celle d’imposture matérialiste et égalitaire, plus offensive. L’aventure d’Antaios(1992-2001) est née d’une réaction à l’imposture ; elle constituait, oui, une offensive. Minuscule, périphérique, mais réelle et qui, j’en suis certain, a laissé des traces.
En 1992, comme il n’existait aucune revue sur le paganisme qui correspondît à mes attentes de rigueur et d’ouverture, j’ai décidé de relancer Antaios, deuxième du nom, dans le but de défendre et d’illustrer la vision païenne du monde, et aussi, je le concède, de me faire quelques ennemis. Jünger m’a écrit pour m’encourager ; il me cite d’ailleurs dans l’ultime volume de ses mémoires, Soixante-dix s’efface. Pour son centième anniversaire en 1995, je lui ai fait parvenir la réplique en argent de la rouelle gallo-romaine qui servait d’emblème à Antaios.
L’esprit de la revue, que j’ai dirigée de manière autocratique, se caractérisait par une ouverture tous azimuts – ce qui m’a été reproché à ma plus profonde jubilation. Le franc-maçon progressiste côtoyait l’anarchiste déjanté et le dextriste ; l’universitaire frayait avec le poète : de Jean Haudry, sanskritiste mondialement connu, à Jean Parvulesco, l’ami d’Eliade et de Cioran, tous communiaient dans une quête des sources pérennes de l’imaginaire indo-européen, de Delphes à Bénarès. Seule l’originalité en ouvrait les portes, ainsi que la fantaisie et l’érudition. Jamais l’esprit de chapelle. Ce fut un beau moment, illustré par les trois aréopages parisiens, où nous reçûmes des gens aussi différents que Michel Maffesoli ou Dominique Venner. Je suis particulièrement fier des livraisons consacrées à Mithra, aux Lumières du Nord. Quand je suis allé aux Indes et que j’ai montré Antaios à des Brahmanes traditionalistes, j’ai eu la joie d’être approuvé avec chaleur.
Ce n’est pas vous faire insulte que de noter que votre goût ne vous porte pas vers la sphère politique. Vous préférez regarder le monde avec l’œil du philosophe et de l’esthète détaché. Considérez-vous que l’ensemble des conflits actuels, des luttes humaines peuvent finalement être ramenées au combat primordial du Beau contre le laid ?
Le faux n’est jamais beau, le laid jamais vrai : telle est la loi du Dharma, l’ordre naturel des choses. Il serait toutefois réducteur de tout interpréter selon ce prisme, même si cette dimension n’est pas absente de l’incessant polemos… auquel je prends part à ma manière, car l’écrivain n’est jamais « détaché » de son peuple ni de son temps. D’où mon intérêt pour la géopolitique et pour l’histoire comme art de décoder l’actualité, comme technique de résistance aux propagandes les plus sournoises. Si l’esthète peut lui aussi être un combattant, ne fût-ce que par une posture refusant le relâchement général, le consommateur, lui, ne se hausse jamais à ce niveau. Toutefois, vous avez raison, la posture du militant n’est pas la mienne… même si je me considère d’une certaine manière comme un soldat métapolitique au service d’une idée de la civilisation européenne, dont le déclin programmé me crucifie. Soldat de l’Idée, d’accord, mais pas dans une unité régulière. A chacun de servir à sa manière, du mieux qu’il peut. Moi, c’est comme électron libre.
Je n’ai pas hésité à écrire ailleurs que votre songe d’Empédocle me semblait voisin et frère des grandes aventures adolescentes de la collection Signe de Piste. Je pense notamment à la saga du Prince Eric et au Foulard de Sang. Qu’en pensez-vous ?
Jean-Louis Foncine était un fidèle abonné d’Antaios, que je retrouvais à divers colloques dans les années 90. Un gentilhomme d’une politesse exquise, Croix de Guerre 39-40, qui m’avait offert Un si long orage, ses mémoires de jeunesse (il avait vécu le bombardement de Dresde). Je dois toutefois préciser que je n’ai jamais lu une ligne de cette littérature qui, dans les athénées belges en tout cas, est connotée « collège », donc bourgeoisie bien-pensante : a priori, ces beaux jeunes gens si blonds, si proprets et leur chevalerie un peu ambiguë ne m’inspirent guère. Moi, je lisais plutôt Jules Verne et Alexandre Dumas, Tintin, Blake et Mortimer… Si vous cherchez des sources au Songe d’Empédocle, voyez plutôt du côté de Hesse et Jünger, de Lawrence et Yourcenar. Le regretté Pol Vandromme, qui m’aimait bien, avait comparé Le Songe d’Empédocle aux « réussites majeures d’André Fraigneau », un auteur qui a illuminé mes années d’étudiant.
Dans un récent échange avec Alain de Benoist, celui-ci envisageait que les luttes idéologiques soient de plus en plus attirées sur un plan secondaire et que ce sont les modes de vie, les incarnations qui pourraient faire échec au chaos « des adorateurs de la matière et [des] serviteurs de l’or ». Cette approche du « grain de sable » vous est-elle familière ?
Oui, vivent les grains de sable, qui rayent les dentiers ! Leurres et simulacres peuplent en effet notre modernité finissante, où règnent la futilité et le mensonge. Regardez l’Ukraine : même l’identité nationale peut être manipulée au service de l’hyperpuissance…
Le règne des médias menteurs et des images trafiquées pollue tout, y compris et surtout la langue française, notre bien le plus précieux. En tant que philologue, ancien professeur de latin et de français, en tant qu’écrivain, membre de cette pluriséculaire légion étrangère qui tente de servir la langue française avec honneur et fidélité, je ne puis qu’être horrifié par les distorsions démoniaques que les agents du système lui font subir. Au point de ne jamais regarder la télévision, de ne pas écouter la radio, de lire très peu de journaux, depuis bientôt trente ans. La plupart des débats avec leurs slogans truqués et leurs fausses lignes de fracture me soulèvent le coeur. Dès les premières lignes, je perçois chez un confrère à quelles sources il s’abreuve, s’il résiste ou non à la mise au pas, s’il fait partie des Véridiques, les seuls que je respecte. Pour ma part, je tente, non sans peine, de préserver mes yeux, mes oreilles, tant je sais la laideur contagieuse. Il y a une phrase du génial penseur colombien Gomez Davila qui synthétise à merveille cette vision : « Seuls conspirent efficacement contre le monde actuel ceux qui propagent en secret l’admiration de la beauté ».
Vous citez volontiers Ernst Jünger parmi vos maîtres, vos créanciers spirituels. Comment avez-vous rencontré son œuvre ?
Par les Orages d’acier, magnifique journal des tranchées, que j’ai lu étudiant. Par Les Falaises de marbre – un livre talisman pour moi. Puis par les Journaux parisiens, lus à l’armée, et ensuite tout le reste.
Si vous deviez retenir trois grandes idées ou visions dans la cohorte de ses essais, journaux et correspondances, quelles seraient-elles ?
Les idées ne m’intéressent guère : j’imagine le jeune biologiste à Naples avec son nœud papillon, le capitaine de la Wehrmacht qui sauvegarde des archives pendant la Campagne de France, l’entomologiste aux cheveux blancs, le centenaire qui grille une cigarette dans son jardin… Il y a quelque chose de magique chez cet homme. Une lumière intérieure, une probité, une classe. Voyez le buste qu’en a fait Arno Breker : impérial.
Si Ernst Jünger est reconnu – peut-être plus en France qu’en Allemagne – comme un auteur majeur du XXème siècle, il est peut être d’autant plus extraordinaire par l’exemplarité de sa vie. Sa « tenue » comme dirait Dominique Venner. Qu’en pensez-vous ?
Bien sûr ! Comment ne pas être séduit par la haute tenue de l’homme, sa noblesse si visible, qui font de lui un modèle d’altitude. Un seigneur, subtil et érudit, sensible et lucide. Rara avis !
Ceux qui envisagent l’œuvre de Jünger de manière trop figée, comme l’Université y invite souvent, y découpent facilement des blocs (l’élan guerrier, l’exaltation nationaliste, l’admiration pour la technique puis sa critique, le retrait de l’anarque …). Jünger n’est-il pas tout simplement Européen, c’est-à-dire déterminé à faire naître de la confrontation des actes et des idées un dépassement par le haut. Ce qu’il semble avoir pleinement réussi en un siècle de vie…
Jünger est un seigneur, qui n’a pas dérogé. Pour ma part, c’est davantage l’observateur des hommes et de la nature, le capitaine des troupes d’occupation qui salue l’étoile jaune, le conjuré de 44, le subtil diariste qui me séduisent. Le romancier de Sur les Falaises de marbre, qui nargue un régime sombrant dans la folie furieuse – les massacres de Pologne et d’ailleurs. L’anarque, en un mot. Le théoricien de la technique, le nationaliste des années 1920 ne m’intéressent qu’à titre anecdotique.
Ce qui est souvent passé au second plan lorsque l’on évoque Jünger est son rapport extrêmement profond, amoureux, mystique avec la nature. Sa passion entomologique n’est nullement anecdotique. Il semble nous enseigner qu’en toutes circonstances, la contemplation de la nature suffit à nous ramener aux vérités premières…
C’est un trait de caractère éminemment germanique, cette tendresse pour la nature, cette vision panthéiste du monde.
En faisant renaître la revue Antaios, vous avez été régulièrement en contact avec le sage de Wilflingen, quels souvenirs conservez-vous de ces échanges ?
J’ai quelques cartes et lettres, un livre hors commerce dédicacé d’une splendide écriture, Prognosen. Une citation dans son Journal – ce qui ne me déplaît pas. Une carte postale à son image qu’il m’écrivit pour ses cent ans : l’écriture en est d’une absolue netteté. Ferme, comme celle de Dominique Venner sur sa lettre d’adieu, envoyée le jour de sa mort volontaire…
Permettez-moi de soumettre à l’auteur du Songe d’Empédocle ces quelques mots : « On ne peut échapper à ce monde. Ici ne s’ouvre qu’un seul chemin, celui de la salamandre, qui mène à travers les flammes »…
Belle illustration de la tension tragique, que je fais mienne.
08:25 Publié dans Belgicana, Entretiens, Littérature, Révolution conservatrice | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christopher gérard, entretien, littérature française, littérature, lettres, belgique, lettres françaises, lettres belges, littérature belge, belgicana, révolution conservatrice, ernst jünger | |
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Emil Cioran
Apologie de la Barbarie: Berlin – Bucharest (1932-1941)
Paris: L’Herne, 2015
This is a very interesting book released by the superior publishing house L’Herne: a collection of Emil Cioran’s articles published in Romanian newspapers, mostly from before the war. Besides becoming a famous aphorist in later years, before the Allied victory, Cioran was still free to be a perceptive and biting cultural critic and political analyst.
While reading the book, I was chiefly interested in understanding the motivations behind Cioran’s support for nationalism and fascism. We can identify a few recurring themes:
Cioran, who had already been well acquainted with German high culture during his studies in Romania, really took to Hitlerian Germany when he moved in 1933 there on a scholarship from the Humboldt Foundation. He writes:
In Germany, I realized that I was mistaken in believing that one can perfectly integrate a foreign culture. I hoped to identify myself perfectly with the values of German history, to cut my Romanian cultural roots to assimilate completely into German culture. I will not comment here on the absurdity of this illusion. (100)
The influence of Cioran’s German sources clearly shines through, including Nietzsche, Spengler, and Hitler himself.[1] [2] Cioran’s infatuation proved lasting. He wrote in 1937: “I think there are few people – even in Germany – who admire Hitler more than I do” (240).
On one level, Cioran’s politics are eminently realistic, frankly acknowledging the tragic side of human existence. He admires Italian Fascism and especially German National Socialism because these political movements had restored strong beliefs and had heightened the historical level and international power of these nations. If liberties must be trampled upon and certain individuals marginalized for a community to flourish, so be it. On foreign policy, he favors national self-sufficiency and Realpolitik as against dependence upon unstable or sentimental alliances.
Cioran is extremely skeptical of pacifist and universalist movements, convinced that great nations each have their own historical direction. Human history, in his view, would not necessarily converge and ought to remain pluralistic. If Europe was to converge to one culture, this would tragically require the triumph and imposition of one culture on the others. In particular, he believed Franco-German peace would be impossible without the collapse of one nation or the other (little did he suspect both would be crushed). Diversity and a degree of tension between nations and civilizations were good, providing “the essential antinomies which are the basis of life” (98).
Alongside these rather realistic considerations, spoken in a generally detached and level-headed tone, Cioran’s politics and in particular his nationalism were powerfully motivated by a sense of despair at the state of Romania. Cioran viscerally identified with his nation and intensely felt what he considered to be its deficiencies as a bucolic and peripheral culture. He then makes an at once passionate and desperate plea a zealous nationalist and totalitarian dictatorship which could spark Romania’s spark geopolitical, historical, and cultural renewal. Only such a regime, on the German model, could organize the youth and redeem an otherwise irrelevant nation. The continuation of democracy, by contrast, would mean only the disintegration of the nation into a collection of fissiparous and spoiled individuals: “Another period of ‘democracy’ and Romania will inevitably confirm its status of historical accident” (225).
A rare and stimulating combination in Cioran’s writings: unsentimental observation and intense pathos.
Cioran’s nationalism was highly idiosyncratic. He writes with amusing condescension of the local tradition of nostalgic and parochial patriotic writing: “To be sure, the geographical nationalism which we have witnessed up to now, with all its literature of patriotic exaltation and its idyllic vision of our historical existence, has its merits and its rights” (150). He was also uninterested in a nationalism as merely a moralistic defensive conservatism, defined merely as the maintenance of the borders of the Greater Romania which, with the annexation of Transylvania, had been miraculously established in the wake of the First World War.
For Cioran nationalism had to serve a great political project, it had to have a set of values and ambitions enabling a great historical flourishing, rather than be merely a sentimental or selfish end in itself. He writes of A. C. Cuza, a prominent politician who made anti-Semitism his signature issue:
Nationalism, as a sentimental formula, lacking in any ideological backbone or political perspectives, has no value. The dishonorable destiny of A. C. Cuza has no other explanation than the agitations of an apolitical man whose fanaticism, which has never gone further than anti-Semitism, was never able to become a fatality for Romania. If we had had no Jews, A. C. Cuza would never have thought of his country. (214)
Similarly, Cioran argues that the embrace of nationalism is dependent on time and purpose:
One is a nationalist only in a given time, when to not be a nationalist is a crime against the nation. In a given time means in a historical moment when everyone’s participation is a matter of conscience. The demands of the historical moment also mean: one is not [only] a nationalist, one is also a nationalist. (149-50)
Cioran was also – at least in this selection of articles – uninterested in Christianity and aggressively rejected Romania’s past and traditions, in favor a revolutionary project of martial organization, planned industrialization, and national independence. For Cioran, Romania needed nothing less than a “national revolution” requiring “a long-lasting megalomania” (154).
All this seems far removed from the agrarian traditionalism and Christian mysticism of Corneliu Zelea Codreanu’s Iron Guard. Cioran did, however, hail the Guard as a Romanian “awakening” and after Codreanu’s murder wrote a moving ode to the Captain [3]. By contrast, Cioran excoriates the consensual Transylvanian politician Iulia Maniu as an ineffectual and corrosive “Balkan buddhist,” peddling “political leukemia” (220).
A friend of mine observed that at least some aspects of Cioran’s program resembles Nicolae Ceaușescu’s later formula: perhaps late Romanian communism did seek to reflect some of the nation’s deep-seated aspirations concerning its place in the world.
One is struck by the contrast between Cioran’s lyricism on Germany, his desperate call to “transfigurate” Romania, and his perfectly lucid and quite balanced assessment of Fascist Italy [4]. There is something quite unreasonable in Cioran’s revolutionary ambitions. Fascism, certainly, is an effective way of instating political stability, steady leadership, and civil peace, annihilating communism, maximizing national power and independence, and educating and systematically organizing the nation according to whatever values you hold dear.
But fascism cannot work miracles. Politics must work with the human material and historical trajectory that one has. That is being true to oneself. To wish for total transformation and the tabula rasa is to invite disaster. Such revolutions are generally an exercise in self-harm. Once the passions and intoxications have settled, one finds the nation stunted and lessened: by civil war, by tyranny, by self-mutilation and deformation in the stubborn in the name of utopian goals. The historic gap with the ‘advanced’ nations is widened further still by the ordeal.
In the case of Romania, I can imagine that a spirited, moderate, and progressive authoritarian regime might have been able to raise the country’s historical level, just as Fascism had in Italy. Romania could aspire to be a Balkan hegemon. Beyond this, raising Romania would have required generations of careful and steady work, not hysterical outbursts, notably concerning population policy. The country had a comparatively low population density – a territory twice the size as England, but with half the population. There was a vigorous and progressive eugenics movement in interwar Romania [5] which also sought to improve the people’s biological stock, but this came to naught.
Another very striking aspect of Cioran’s fascism and nationalism is that he does not take race seriously. He says in his first article written from Germany (November 14, 1933):
If one objects that today’s political orientation [in Germany] is unacceptable, that it is founded on false values, that racism is a scientific illusion, and that German exclusivism is a collective megalomania, I would respond: What does it matter, so long as Germany feels well, fresh, and alive under such a regime?
Reducing National Socialism’s appeal to mere emotional power, although that is important, will certainly puzzle progressive racialists and evolutionary humanists.[2] [6] In the same vein, Cioran occasionally expresses sympathy for communism, because of that ideology’s ability to inspire belief. There is something irresponsible in all this. And yet, living in an order of rot and incoherence, we can only share in Cioran’s hope: “We have no other mission than to work for the intensification of the process of fatal collapse” (51).
One wonders how Cioran’s disenchantment with Hitlerian Germany occurred. The fact that he wrote his conversion note [7]On France [7] in 1941, before the major reversals for the Axis, is certainly intriguing.
Cioran’s comments on Romania’s ineptitude are striking and sadly well in line with the current state of the Balkans. Cioran hailed from Transylvania, which though having a Romanian majority, had significant Saxon and Hungarian minorities and a tradition of Austro-Hungarian government. Cioran contrasts the stolid Saxons with the erratic Romanians, the staid Transylvanian “citizens” with the corrupt “patriots” of the old-Romanian provinces (Wallachia, Moldova). So while he rejected any idea of Romania becoming merely a respectable, prosperous “Switzerland,” Cioran also desired some good old-fashioned (bourgeois?) competence. He indeed calls Transylvania “Romania’s Prussia.”
To this day, besides Bucharest, the wealthier and more functional parts of the country are to be found in Transylvania. In the 2014 presidential elections, there was an eerie overlap [8] between the vote for the liberal-conservative candidate Klaus Iohannes and the historical boundaries of Austria-Hungary.
What I find most stimulating in Cioran is his dialectic between his concerns as a pure intellectual – lucidity, the vanity of things, universal truth – and his recognition of and desire for the intoxicating needs of Life: belief, action in the here-and-now, ruthlessness, and passion. Cioran writes:
The oscillation between preoccupations that could not be further from current events and the need to adopt, within the historical process, an immediate attitude, produces, in the mind of certain contemporary intellectuals, a strange frenzy, a constant irritation, and an exasperating tension. (117)
I was shocked to encounter the following passage and yet the thought had also occurred to me:
In Germany, I began to study Buddhism in order not to be intoxicated or contaminated with Hitlerism. But my meditation on the void brought me to understand, by the contrast, Hitlerism better than did any ideological book. Immediate positivity and the terror of temporal decision, the total lack of transcendence of politics, but especially the bowing before the merciless empire of becoming, all these grow in a dictatorship to the point of exasperation. A suffocating rhythm, alternating with a megalomaniacal breath, gives it a particular psychology. The profile of dictatorship is a monumental chiaroscuro. (233-34)
Nature, ‘red in tooth and claw,’ and the inevitable void: a fertile dialectic, from which we may hope Life with prevail.
Notes
[1] [9] E.g. Cioran observes that fears surrounding Hungary’s ambition to reconquer Transylvania from Romania only existed due to Romania’s own internal political weakness: “[There is an] unacceptable illusion among us according to which foreign relations could compensate for an internal deficiency, whereas in fact the value of these relations depends, at bottom, on our inner strength” (171). A classic Hitlerian point.
[2] [10] Elsewhere, Cioran denounces, in the name of a lucid Realpolitik, overdependence on the unreliable alliance with France and sympathy for the “Latin sister nation” Italy, which was then supporting Hungary: “Concerning affinities of blood and race, who knows how many illusions are not hidden in such beliefs?” (172). Certainly, people have often confused linguistic proximity with actual blood kinship.
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Serotonin came out in Germany on January 7, four years to the day since the release of Submission and the Charlie Hebdo shooting. Photo by Philippe Matsas
Michel Houellebecq's latest opus has just come out last month, to the usual flurry of TV news reports and critical frenzy (only a few days after the French release!) Read our interview with literature professor Wolfgang Asholt on why Germans love the French novelist so much... And join us for a special screening of Oskar Roehler's famous film adaptation ofElementary Particles (Elementarteilchen) – with English subtitles and in the presence of the Berlin director!
A new Houellebecq book is a big affair in Germany. Not only do the Germans make for the author’s largest readership outside France (Submission sold half a million copies in 2015), but their fascination extends to the man behind the author – his third wedding last September made headlines even in the no-nonsense FAZ. So when Serotonin came out last month, it was reported all over – from broadsheet Feuilleton to the ARD evening news, and the book sold out within days. In fact, one week after its initial release, publisher DuMont was already issuing a sixth reprint – 135,000 copies in total at the time of writing.
While still a far cry from Submission – a page-turning Islamisation dystopia, whose sales were boosted by the morbid coincidence of its release on the very day of the Charlie Hebdo attacks on January 7, 2015, it still seems like a lot of fuss for a foreign title. Especially for a tome engrossed with a Frenchman’s existential decline (in Houellebecquian terms, his declining potency: when you can’t get it up, it’s the end) not so subtly mirrored by France’s declining farming industry. In Michel’s ruthlessly melancholic world, #MeToo never occurred (women are mostly defined by the shape of their asses or their blowing abilities) and Brexit is the best thing the English ever did – if anything. Add to that scathing rants on domestic showbiz personalities or provincial towns unknown to most of his non-French readership. So what’s the big attraction for German readers? We asked the country’s first and foremost Houellebecq expert, Wolfgang Asholt, why the author strikes such a chord with the German public.
The German translation of Serotonin came out almost at the same time as the French original, meanwhile English readers will have to wait until September for the British release; next year for the US one. Does this speak to how popular Houellebecq is in Germany?
Yes. It took five years for his first novel to come out in Germany in 1999. For Atomised, it was only one year, and that was pretty much the rule until Submission (2015): for the first time the German edition came out at more or less the same time as the French original. The shrinking translation delays show how Houellebecq has by now become part of the German literary landscape. It’s become an imperative that his books be published within days of the French release – putting real stress on the translators, who can hardly keep up. Uli Wittmann, his main translator, threw in the towel and they had to put two translators on Submission to meet the deadline!
Houellebecq landed on the German market exactly 20 years ago this month with the release of Whatever by Berlin-based Wagenbach – only 5000 copies, but immediately popular enough to be reprinted seven times and sell 30,000 within the next few months. But his big breakthrough was in October 1999, with the release of Atomised by bigger publisher DuMont. What happened then?
Yes, Elementarteilchen was an immediate sensation and a huge bestseller. Der Spiegel ran an interview with Houellebecq right after the release that October, which for any author, even a German one, is quite huge. The novel was also immediately picked up by household theatre and film names – Frank Castorf brought it to the Volksbühne stage in 2000 with Martin Wuttke. Then came another staging at Schauspielhaus Zürich in 2004, and the Oskar Roehler film with Moritz Bleibtreu in 2006. This is quite unique and contributed hugely to root Houellebecq in Germany’s broader cultural landscape. Not to mention that German academics embraced his work and started teaching it at university around 2000, much earlier than the French.
In France he’s always hugely polarised critics. This has changed in recent years: The Map and the Territory earned him a top literary prize, and now Serotonin received quasi-unanimous praise. Have you observed a similar evolution in Germany?
From the outset, his reception here has been much more positive. I’d say that Houellebecq enjoyed the kind of acclaim that he now has in France already 10 years ago. And his popularity has been growing ever since, culminating with Submission selling half a million copies in 2015. Interestingly, after the Charlie attacks and the backlash that followed, Houellebecq cancelled all interviews and public appearances in France. Yet he came to Cologne to speak about the novel. This shows how much he values his German audience, be it because it’s his biggest market outside France or because of his love for Schopenhauer! Over the years, he’s toured the country many times, even with his poetry and also with his band, always very successfully.
What about the Oswald Spengler Prize he received last year? The German philosopher is a big hero among right-wing identitarians and other nationalist nostalgics who worship hisThe Decline of the West. What does the award say about his readership?
Not much. It’s no huge surprise that Houellebecq finds parallels between Spengler’s and his own pessimistic worldview, namely that the West is in a “state of very advanced decline” as he said at the ceremony. But I wouldn’t say he’s associated with identitarian movements here or that you’d find more AfD voters among Houellebecq’s readers than the German average. Rather the contrary.
Actually, the German Left also has a soft spot for him. He made the front page of Taz for his 60th birthday!
The enthusiasm of the German left for Houellebecq is a little complicated. Papers like Süddeutsche Zeitung and Taz are mesmerised by him. For them, he has the appeal of the outsider – despite being a high-earning global literary star. All the same, he’s held up as that rebel who challenges the literary and political system. It’s surprising how eagerly they embraced him, given some of his opinions – from his staunch Eurosceptic stance to his recent praise of Trump (in Harper’s Magazine), or the way he portrays women for example. I personally think they wouldn’t let a German author get away with these kinds of provocations.
Do you think it is a case of wanting to hear from someone else – even better a foreigner – what many wouldn’t dare say out loud?
When you ask left-wing, progressive people about his inflammatory statements, they’ll usually brush it off – “You know, he likes to provoke.” I’d say that the writer Houellebecq doesn’t just have a great acuity for observing the reality of his surroundings and feeling the pulse of the society he lives in, but he also has strong beliefs; opinions which he dares to express in his books. Most writers don’t, especially not in Germany.
What about the accusations of Islamophobia that followed Submission? Even if undeserved, Houellebecq did once call Islam the “most stupid religion”. He revised his judgement later – candidly confessing to a new-found appreciation of the Koran after finally reading it – but such provocations stuck and explain why he’s still so controversial in the UK and the US. Is Germany less politically correct?
True, you don’t see the same reservation here, which is surprising, because the German media can be pretty politically correct when it comes to sensitive issues such as Islam. But for some reason, when it concerns Houellebecq, they are more forgiving. But to be fair, Submission wasn’t an Islamophobic book. Its critique was more aimed at the French political elite than at Islam. Of course the enormity of the Charlie tragedy that occurred just as the book came out made it very difficult for many people to maintain a neutral judgement.
At the same time, it consolidated his reputation as a prophetic novelist...
Yes, even now, a review of Serotonin in the Süddeutsche Zeitung went on about Houellebecq as the “prophet of downfall”, and how, this time, he anticipated the yellow vests. It all started back in 2001 with Platform, in which people saw the premonition of Islamist terrorism and even 9/11, and it stuck with him. It contributes to his ‘special aura’.
Speaking of aura, the Germans seem to buy into the French jaded dandy persona he created for himself – from jeans-and- parka slob to tailcoat-and-bowler-hat- clad ladies’ man – his third marriage last September captivated the German press!
The photos of him in his tailcoat! It was clearly all staged and displayed as some self-ironic commentary... But for Germany this blend of inflammatory aura and French-lover dandyism is totally unique... and that’s totally exciting! We don’t have another fellow like him and we’re not kidding ourselves about producing one any time soon. So we adopted him alright! That’s what I meant when I said that he belongs to German literature.
He cited Novalis and later German romantics as an inspiration... Do you see a connection?
I’d say the French surrealists, Bataille or Blanchot, have more obvious connections to German romanticism. Interestingly, he has rather been compared to Emile Zola by colleagues like Rita Shober, a foremost GDR academic and one of the first Houellebecq specialists in the country – for his naturalism, but also for his stature as a novelist who takes a stance in the ideological debates of his time. We tend to forget how provocative Zola was back then. He, too, was accused of writing popular literature!
That's without even considering Houellebecq's humour. There's plenty of extremely funny, at times laugh-out-loud passages!
Yes, that's often underestimated – his prose is very dark and often cynical, but there's a lot of humour. There are a lot of lawyers out there, and you can be more or less literal in your reading. Each of his big novels can be taken or more less seriously.
What are your own personal favourite novels?
I still consider his first [Whatever] one of his best – a great social roman noir. My other favourite is The Map and the Territory with its cynical parody of the author's death and the detective story following the murder of a character called Michel Houellebecq, with a backdrop of a fundamental pessimism à la Schopenhauer. For me, the exceptional status of Houellebecq resides in his unique talent not only to come to grips with at least one major societal issue in each of his books, but also to do it in the realm of fiction with a style that is accessible to most readers, including non-readers or people who've abandoned books of fiction in favour of electronic media. I can't think of another author who's managed it so well.
Are your students just as enthusiastic?
The other day I joked with a colleague at the HU that if I put Houellebecq in the title of my seminar, there wouldn’t be enough students left for our other colleagues. That’s how popular he is!
Wolfgang Asholt (74) is an honorary professor at Humboldt University, with a specialisation in contemporary French literature. He has been teaching and analysing the novels of Michel Houellebecq since the early 2000s.
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Bulletin célinien n°415
Février 2019
Sommaire :
Rencontre avec Yves-Robert Viala
À l’agité du bocal (re)composé par Bernard Cavanna
La vérité sur Bessy
Une conférence sur Céline
Le bilan de l’accueil et l’évolution de Céline de L’Église à Mort à crédit.
par Marc Laudelout
Tout a été dit sur l’indigeste pavé du tandem Taguieff-Duraffour paru au début de l’année passée ¹. En attendant la version en collection de poche, agrémentée d’une préface sur la réception critique (!), on peut maintenant y revenir avec quelque recul même si d’aucuns penseront qu’on lui accorde trop d’importance.
Fallait-il que les deux auteurs aient jadis éprouvé pour Céline « une admiration sans bornes » (expression employée dans l’introduction) pour en arriver là ! Peu suspect de complaisance envers l’écrivain, Émile Brami, dans l’un des premiers comptes rendus du livre, a magistralement montré l’inanité de certaines accusations (agent actif du SD, notamment) dépourvues de la moindre preuve ². Accusations basées sur une méthodologie contestable qui tient à la formation des auteurs : l’une vouée aux études littéraires, l’autre à la philosophie et à l’histoire des idées. Mais pas la moindre formation d’historien s’étant frotté à la critique interne et externe des documents. Si tel avait été le cas, plusieurs bourdes eussent été évitées. Le fait que Céline, véritable électron libre avant et pendant la guerre, ait souhaité la victoire de l’Axe et qu’il ait, à ce titre, fréquenté des officiels (allemands et français) n’est pas douteux. Ne l’est pas moins le fait qu’il n’ait pas mis une sourdine à son racisme (englobant son antisémitisme) pendant les années noires. Mais cela ne fait pas de lui un agent (stipendié ou pas) de la police allemande. D’autant qu’il est avéré qu’il fréquentait le plus souvent ces personnalités à des fins personnelles (récupération de son or saisi en Hollande, possibilité de séjourner sur la côte bretonne, etc.). Pour le reste, « était-il nécessaire de vouloir à toute force rendre Céline plus noir qu’il ne l’a été ? » ³. Oui s’il s’agit de faire en sorte que l’Université le boycotte tant et plus. Les auteurs auront alors beau jeu de constater qu’aucun « grand spécialiste universitaire » ne se penche décidément sur son œuvre. Mais, ce qui frappe le plus à la lecture du livre, c’est ce mépris d’acier qu’affichent les auteurs. Mépris envers l’écrivain qui a cessé d’être pour eux un classique, tout au plus un styliste de talent 4. Mépris envers ses exégètes, tel Henri Godard, déconsidéré car n’ayant pas les connaissances (philosophiques, ethnographiques, anthropologiques et génétiques) requises à leurs yeux pour pouvoir traiter valablement du sujet 5. Mépris envers les chercheurs, tel Éric Mazet ou Jean-Paul Louis, perçus comme des dévots du « culte célinien ». Mépris envers la plupart des autres célinistes, « érudits aussi passionnés que limités dans leurs perspectives ». Mépris enfin envers les admirateurs de son œuvre. Tous étiquetés célinophiles, célinomanes ou célinolâtres. De Kaminski à Peillon en passant par Vanino, Kirschen, Gosselin, Martin, Bounan et Bonneton, la liste des livres hostiles à Céline est déjà longue. Nul doute que celui-ci a décroché la palme.
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Longtemps responsable de la revue Contrelittérature, Alain Santacreu a publié chez Alexipharmaque, sympathique éditeur en Béarn, un étonnant roman (à clé ?) qui se palce dans le sillage de Raymond Abellio et de Jean Parvulesco, Opera Palas. La forme romanesque y est en effet triturée, malaxée, décantée au point de tendre vers l’essai qui ne s’avoue pas !
Les personnages de cet essai romanesque (le narrateur travaille sur Opera Palas – belle mise en abyme , le journaliste étatsunien Julius Wood qui fait plus que du journalisme) pratiquent à leur façon l’impersonnalité active. Toutefois, bien que mise en arrière-plan, c’est une œuvre d’art qui focalise l’attention : Le Grand Verre de Marcel Duchamp, aussi connu sous le nom de La Mariée mise à nu par ses célibataires, même. Réalisé entre 1915 et 1923 sur du verre (fils de plomb, feuilles et peinture), cette œuvre inachevée et fêlée présente une riche polysémie propice aux interprétations érotiques, psychanalytiques ou ésotériques. C’est dans ce dernier champ qu’intervient principalement Opera Palas.
Chaque chapitre – il y en a vingt-sept – commence par une lettre de l’alphabet hébraïque. Raymond Abellio rappelait souvent que ces lettres se calculent, d’où la guématrie qu’il pratiquait régulièrement. L’écrivain n’oubliait pas pour l’occasion ses années polytechniciennes. La référence n’est pas inutile. « L’écriture abellienne est une décantation humaine, un processus alchimique qui va transfigurer Soulès en Abellio. Œuvre polymorphe, constituée de romans, d’essais et de mémoires, dont la combinatoire des genres participe d’un processus de purification (p. 199). » Alain Santacreu souligne que Montségur fut sa seule pièce de théâtre. « De son vrai nom Georges Soulès, le romancier avait pris le pseudonyme d’Abellio en référence au dieu solaire celtibère vénéré dans les Pyrénées de ses ancêtres (p. 191). » Si son engagement politique avant 1939 est mentionné au sein de la SFIO parmi les courants les plus marxistes (La Bataille socialiste de Jean Zyromski, puis le Parti socialiste ouvrier et paysan de Marceau Pivert), il n’est pas évoqué que sous l’Occupation il fut proche d’Eugène Deloncle, qu’il milita au Mouvement social révolutionnaire et qu’il se lia avec certains réseaux de résistance. Avec André Mahé, il signa en 1943 La Fin du nihilisme, apologie planiste d’un grand continent autocentré eurafricain.
Action d’écrire
La présence en tête de chapitre d’une lettre hébraïque signifie-t-elle une réhabilitation de l’écrit à un moment où « la lettre a perdu sa substance matérielle et sa relation directe au corps, son tracé sensible qui rassemblait l’œil et la main (p. 21) » ? Interrogation légitime quand on sait que presque plus personne n’écrit à la main d’abord sur une feuille de brouillon un texte long et construit. En saisissant sur le clavier de l’ordinateur ses pensées, il en vient à oublier le frottement de la pointe du stylo sur le papier, le changement régulier des cartouches, les mains salies fréquemment par l’encre… Il en omet même la tenue correcte du stylographe. Dans bien des écoles d’Occident, stylo et papier sont maintenant remplacés par des tablettes numériques, des tableaux interactifs et des écrans digitaux. Jean Cau remarquait que « mon contemporain, lui,“ écrit ” (?) à la machine. Soit ! Mais imagine-t-on Racine écrivant Bérénice, toc, toc, toc, à la machine ? […] Ses doigts volent, légers, sur les touches et, comme il aime le bruit de toutes les mécaniques, le toc toc toc de son engin lui est agréable (Éloge incongru du lourd qui précède Contre-attaques, Le Labyrinthe, 1993, pp. 53 – 54) ». Pour sa part, « je m’ébahis […] d’être ce moine qui écrit à la main, à l’encre (je préfère ne pas connaître sa composition…) sur du papier (même observation), à l’aide d’un lourd stylo à la plume en or 18 carats (Idem, p. 53) ». « Écrire, selon Julius Wood, était une aventure mystique, une quête vers le point de jonction des deux livres, l’intérieur et l’extérieur (p. 12). » Est-ce toujours le cas devant son écran et le clavier ?
Alain Santacreu se préoccupe tout particulièrement du conflit civil espagnol entre 1936 et 1939. « La guerre d’Espagne a ouvert l’ère apocalyptique de la fiction absolue (p. 162). » À l’instar d’Eric Blair alias George Orwell qui comprit sur place les manigances criminelles du communisme soviétique, l’auteur estime qu’« en 1936, en Espagne, le système techno-industriel de l’idéologie libérale a été mis en péril par un mouvement révolutionnaire impulsé par les anarchistes (p. 162) ». Parce qu’« il y a deux nationalismes, l’un civique, égoïste et chauvin, l’autre culturel et universel où s’affirment les qualités intrinsèques d’un peuple (p. 171) », il rêve rétrospectivement d’une alliance révolutionnaire et nationale entre la CNT anarchiste et la Phalange espagnole de José Antonio Primo de Riviera, influencé par les non-conformistes français des années 1930 (la revue L’Ordre nouveau et la « Jeune Droite »), et de Ramiro Ledesma Ramos, père du « national-syndicalisme [qui] se fonde sur un double rejet du capitalisme et du marxisme. Le système démocratique libéral est illusoire car il repose sur la liberté supposée du citoyen soumis à la volonté générale, les techniques de manipulation de l’opinion restant à la dispositions des puissances financières (pp. 168 – 169) ». Cette convergence était-elle plausible ? Un tel rapprochement anarcho-phalangiste aurait modifié l’histoire de l’Espagne. L’hypothèse n’est pas absurde. Anarchisme, phalangisme et même indépendantismes basque et catalan proviennent du même terreau politique, le carlisme dont les foyers de prédilection se trouvaient au Pays basque et en Catalogne. La défense des fueros n’est-elle pas une critique empirique du centralisme et de l’étatisme ainsi qu’un appel (illusoire ?) au sursaut des corps intermédiaires traditionnels ?
Entre Espagne et Russie
Opera Palas expose aussi la grande diversité théorique et géographique de l’anarchisme ibérique tiraillé entre la Catalogne et l’Andalousie d’une part, entre le fédéralisme mutualiste de Proudhon, l’anti-étatisme radical de Bakounine et le communalisme de Kropotkine qu’on retrouve aujourd’hui via l’influence posthume de Murray Bookchin au Rojava kurde en Syrie, d’autre part. C’est avec raison qu’il établit un parallèle entre la révolte de Cronstadt en 1921 et l’épuration de Barcelone en 1937. « Cronstadt voulait faire revivre le mir et l’artel. La révolte anarcho-populiste est dans la lignée des narodniki de la seconde moitié du XIXe siècle pour lesquels la commune rurale et la coopérative ouvrière sont les fondement de la société communiste, le moyen pour la Russie de sauter l’étape du capitalisme et de parvenir par ses voies propres à l’état social parfait. Supprimer le mir archaïque signifiait supprimer des millions de paysans, c’est ce que feront les bolchéviques, par le crime et la famine (p. 253). » Outre l’Espagne, un second tropisme géo-spirituel s’invite : la Russie, en particulier celle d’avant 1917. Comme dans Comment réaménager notre Russie ? (1990) d’Alexandre Soljenitsyne, on devine que « dans l’autocratie, il y a une perspective anarchiste, une aversion pour la politique et pour l’exercice du pouvoir (p. 265) ». D’autres phrases pourraient être d’Alexandre Douguine. « À la base du slavophilisme se trouve l’orthodoxie russe et non la byzantine, distingue Alain Santacreu. L’âme russe est infiniment distincte de l’âme byzantine; en elle, il n’y a ni la malignité, ni l’obséquiosité devant les puissants, ni le culte de l’étatisme (p. 264). » Mieux encore, « contre le bureaucratisme ecclésial, les slavophiles affirment la communion – sobornost – ecclésiale ; à leurs yeux, le peuple est le centre de gravité de l’Église. Ils ne reconnaissent aucun autre chef de l’Église en dehors du Christ. Le tsar est investi des pouvoirs que le peuple lui a confiés (pp. 264 – 265) ». Dans cette perspective bouleversante, l’entente entre Buenaventura Durutti et José Antonio aurait-elle eu des répercussions jusqu’en Russie ? À la chute de l’URSS s’esquissa une association entre les « Rouges » et les « Blancs » brisée nette lors de la crise sanglante d’octobre 1993. En tout cas, « si la Guerre d’Espagne fut la tragédie de notre temps, la deuxième guerre mondiale en aura été le drame et, depuis Yalta, nous sommes tombés dans la farce – une farce sanglante et spectaculaire qui semble s’éterniser ! (p. 199) ».
C’est donc tout le monde actuel qu’il faut remettre en question. L’auteur le pense sans pour autant souscrire aux Protocoles des Sages de Sion, un faux incontestable dont l’énoncé n’en dévoile pas moins une actualité certaine. Complotisme ? Pas du tout, surtout si « le complot pour réussir doit rester ignoré. Il est donc indispensable pour le pouvoir et ses mandarins de le dénier et d’en ridiculiser l’idée, afin de s’assurer son succès et de s’en réserver l’avantage (p. 248) ». Alain Santacreu prend un risque en suggérant que, comme l’avait bien perçu Martin Heidegger, l’esprit hébraïque est l’une des sources de la modernité. « La prépondérance de l’élément juif dans l’essor moderne de la finance remonte au califat abbasside (p. 208). » Le hassidisme, les sabbatéens, les frankistes, les karaïtes, voire « le sionisme [qui] a provoqué l’état de séparation entre l’âme juive et son corps (p. 260) » constituent des adaptations circonstanciées pour ce Golem guère contrôlable qu’est le monde contemporain. Il en ressort une division du judaïsme actuel en trois factions rivales : un mondialisme globalitaire, un sionisme en mutation qui consacre les thèses de Vladimir Jabotinsky, et un organicisme juif traditionnel anti-sioniste. Mais qu’on se rassure ! Toute cela n’est bien sûr que du contre-roman !
On comprendra qu’Opera Palas déroute, agace, étonne. Ne s’agit-il pas finalement d’« une édification gnostique qui s’affirme non seulement comme une incarnation dans l’intériorité, mais aussi comme une tâche historique inscrite dans le destin de l’Occident, son but civilisationnel ultime, à la fois couronnement et négation de son histoire (p. 199) »?
Georges Feltin-Tracol
• Alain Santacreu, Opera Palas, Alexipharmaque, coll. « Les narratives », 2017, 300 p., 19 €.
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Qu’il soit un petit peu réactionnaire sur les bords n’a pas l’air de trop ennuyer les médias français ; la meilleure preuve c’est que tous les journalistes parlent de Michel Houellebecq. Son dernier livre a mérité des articles assez élogieux dans plusieurs journaux nationaux, et même internationaux ! Un journaliste anglais a bien raison quand il affirme qu’« il n’y a pas d’équivalent britannique à Michel Houellebecq. Après des années à l’éviter, l’establishment français l’a complètement accepté. »(1)
Que ce soit sur la décadence sexuelle de la société ou la soumission de la France à l’islam, Houellebecq paraît mieux comprendre les maux qui rongent la société française que tous ces experts et technocrates sortis de l’ENA. Son dernier livre, Sérotonine, sur l’abandon de la France périphérique, montre qu’une fois encore Houellebecq a anticipé ce que le peuple ressentait sans savoir comment l’exprimer, à savoir, la réelle distance entre les élites parisiennes et les Français de base. Houellebecq l’exprime comme il le sait en écrivant. Le peuple l’exprime comme il le peut en se révoltant (les Gilets Jaunes).
Et c’est justement à cause de cette capacité à cerner le monde actuel que je vous conseille de lire le dernier article de Houellebecq sur le président Donald Trump, au titre provocateur de Donald Trump Is a Good President(2). Donald Trump, un bon Président ? Décidément, Houellebecq va à contre-courant de l’intelligentsia occidentale.
N’est-il pas surprenant de le présenter comme un bon président alors que les médias occidentaux passent leurs temps à le présenter comme un incompétent, raciste et misogyne, homophobe et transphobe ? (Pardonnez-moi ce néologisme, mais on vit dans la « cage aux phobes »).
Ne serait-ce pas parce que tout simplement le président Trump comprend que le monde a changé, dirigeant donc les EUA avec en tête ce changement de statu quo… Le monde est devenu multipolaire, les EUA (États-Unis d’Amérique) ne sont plus l’hyperpuissance des années quatre-vingt-dix, d’où la politique de désengagement international menée par Trump. Et pour Houellebecq, ceci est une très bonne nouvelle pour le reste du monde.
Contrairement à un George W. Bush, Donald Trump ne se préoccupe pas de forcer des dictateurs à accepter la liberté de la presse. Sa seule préoccupation, c’est le peuple américain et son bien-être, ce qui le différencie de la plupart des leaders de l’Europe Occidentale.
Le président américain déchire les traités commerciaux qu’il juge mauvais pour les intérêts des travailleurs américains car, comme nous le dit Houellebecq, le « Président Trump a été élu pour défendre les intérêts des travailleurs américains ; et il défend les intérêts des travailleurs américains. Durant les cinquante dernières années en France, on aurait aimé voir ce genre d’attitude plus souvent » de la part des chefs d’État.(3)
Mais les préoccupations d’ordre patriotique ne sont pas les seuls points positifs de Donald Trump, car Houellebecq renchérit, surtout lorsqu’il dit que « contrairement aux libéraux […] le président Trump ne considère pas le libre marché mondial comme le summum du développement humain […] »(4)
On comprend en lisant ce texte que Houellebecq voit Donald Trump comme la continuation d’une série de revers que les pro-mondialistes ont subi ces dernières années, le rejet du Traité de Lisbonne(5), le Brexit, les populistes en Europe Centrale, etc.
Et si les Américains ont osé élire Donald Trump, pour les Français le prochain pas est la sortie de l’Union Européenne, une façon de réentrer dans l’histoire. Car l’histoire revient toujours, et l’écrivain nous le rappelle quand il affirme qu’une des constantes de la « longue Histoire Européenne est la lutte contre l’Islam ; aujourd’hui cette lutte est simplement revenue au-devant de la scène. »(6)
Tout indique que l’écrivain français attend impatiemment l’arrivée d’un Donald Trump à la française, patriote comme lui, moins grossier, mais tout aussi courageux dans sa volonté de protéger le peuple qui l’aura élu. Espérons seulement que le prochain livre de Houellebecq aura le titre de Renaissance. Étant donné ses capacités prophétiques, ce titre serait de bon augure.
Notes
(1) Dans l’original : « There’s no British equivalent to Houellebecq. After years of being shunned by the French establishment, he has now been fully embraced by it. » Sexton, David (10 janvier 2019), Book of the week : Sérotonine by Michel Houellebecq, Evening Standard, UK, (cliquez ici).
(2) En français le titre veut dire « Donald Trump est un bon président ». Cet article peut être lu gratuitement sur le site du Harpers Magazine du mois de décembre, mais en anglais seulement. Houellebecq, Michel, traduit par Cullen, John (2018), Donald Trump Is a Good Président, Harper’s Magazine, USA (cliquez ici).
(3) Dans l’original : President Trump was elected to safeguard the interests of American workers ; he’s safeguarding the interests of American workers. During the past fifty years in France, one would have wished to come upon this sort of attitude more often.
(4) Dans l’original : Unlike free-market liberals (who are, in their way, as fanatical as communists), President Trump doesn’t consider global free trade the be-all and end-all of human progress. When free trade favors American interests, President Trump is in favor of free trade ; in the contrary case, he finds old-fashioned protectionist measures entirely appropriate.
(5) Honteusement voté par l’Assemblée Nationale, ce qui montre bien le respect que les élites ont de la démocratie directe…
(6) Dans l’original : « […] in Europe’s long history is the struggle against Islam ; today, that struggle has simply returned to the foreground ». Curieusement, les articles du Figaro et du Monde ou même du New York Times qui ont traité ce sujet ont oublié de citer cette phrase qui est, à mon avis, une des plus importante du texte. Pour Michel Houellebecq, il n’y a pas de différence entre le discours des leaders comme Salvini et les discours des leaders du Groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, Slovaquie et République Tchéque), les préoccupations sont les mêmes. La lutte contre l’Islam, l’immigration, les identités reviennent. Il aurait été intéressant que les journalistes s’arrêtent deux minutes sur cette partie du texte.
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Il a récemment soutenu Donald Trump et c’était très bien de le faire. Il avait attaqué la religion de paix et d’amour de Riyad et c’était très bien de le faire. Il remet en cause les acquis de la révolution sexuelle et libertaire, et c’était encore mieux de le faire. Il a régulièrement insulté ses ennemis et c’est bon de le faire. Il ne vit pas en France, et il a raison de le faire. Comme dit Bonald, dans son essai sur l’émigration :
« Le sol n'est pas la patrie de l'homme civilisé ; il n'est pas même celle du sauvage, qui se croit toujours dans sa patrie lorsqu'il emporte avec lui les ossements de ses pères. Le sol n'est la patrie que de l'animal ; et, pour les renards et les ours, la patrie est leur tanière. Pour l'homme en société publique, le sol qu'il cultive n'est pas plus la patrie, que pour l'homme domestique la maison qu'il habite n'est la famille.L'homme civilisé ne voit la patrie que dans les lois qui régissent la société, dans l'ordre qui y règne, dans les pouvoirs qui la gouvernent, dans la religion qu'on y professe, et pour lui son pays peut n'être pas toujours sa patrie. »
De toute manière il a aussi dit que le monde est devenu un hôtel.
Il, c’est Michel Houellebecq.
L’ennemi a perdu depuis longtemps la bataille des idées, et il s’en est récemment rendu compte. Certes, il lui reste la trique, la dictature européenne, la censure médiatique, et sans doute la guerre contre la Russie pour espérer se maintenir au pouvoir.
Quelques rappels de Houellebecq pour s’en assurer, de la victoire…
« Tout comme le libéralisme économique sans frein, et pour des raisons analogues, le libéralisme sexuel produit des phénomènes de paupérisation absolue. Certains font l'amour tous les jours; d'autres cinq ou six fois dans leur vie, ou jamais. Certains font l'amour avec des dizaines de femmes ; d'autres avec aucune. C'est ce qu'on appelle la « loi du marché ».
Et cette sublime envolée, toujours dans l’extension du domaine de la lutte :
« Le libéralisme économique, c’est l’extension du domaine de la lutte, son extension à tous les âges de la vie et à toutes les classes de la société. De même, le libéralisme sexuel, c’est l’extension du domaine de la lutte, son extension à tous les âges de la vie et à toutes les classes de la société. »
Le meilleur livre restera – avec, selon moi, le recueil rester vivants qui donne des recettes pratiques pour supporter cette société –, les particules élémentaires. Poète, Houellebecq aura chargé comme un traditionaliste contre la société festive sans que les bourgeois de la presse de gauche s’en rendent compte :
« Cependant, dans le même temps, la consommation libidinale de masse d’origine nord-américaine (chansons d’Elvis Presley, films de Marilyn Monroe) se répandait en Europe occidentale. Parallèlement aux réfrigérateurs et aux machines à laver, accompagnement matériel du bonheur du couple, se répandaient le transistor et le pick-up, qui devaient mettre en avant le modèle comportemental du flirt adolescent. Le conflit idéologique, latent tout au long des années soixante, éclata au début des années soixante-dix dans Mademoiselle Age tendre et dans 20 Ans, se cristallisant autour de la question à l’époque centrale : « Jusqu’où peut-on aller avant le mariage ? » Ces mêmes années, l’option hédoniste-libidinale d’origine nord-américaine reçut un appui puissant de la part d’organes de presse d’inspiration libertaire (le premier numéro d’Actuel parut en octobre 1970, celui de Charlie Hebdo en novembre). S’ils se situaient en principe dans une perspective politique de contestation du capitalisme, ces périodiques s’accordaient avec l’industrie du divertissement sur l’essentiel : destruction des valeurs morales judéo-chrétiennes, apologie de la jeunesse et de la liberté individuelle. »
Comme Muray à la même époque (Libération tançait cette « libération de la parole gauloise »), Houellebecq explique la désertification de la France par le sexe (revoyez le très instructif sex-shop de Claude Berri tournée à la fin de ces satanées années Pompidou) :
« Le 14 décembre 1967, l’Assemblée nationale adopta en première lecture la loi Neuwirth sur la légalisation de la contraception ; quoique non encore remboursée par la Sécurité sociale, la pilule était désormais en vente libre dans les pharmacies. C’est à partir de ce moment que de larges couches de la population eurent accès à la libération sexuelle, auparavant réservée aux cadres supérieurs, professions libérales et artistes – ainsi qu’à certains patrons de PME. Il est piquant de constater que cette libération sexuelle a parfois été présentée sous la forme d’un rêve communautaire, alors qu’il s’agissait en réalité d’un nouveau palier dans la montée historique de l’individualisme. »
Chesterton a dit que la famille est le seul État qui crée et aime ses citoyens (l’État-république les détruit et les remplace). Houellebecq :
« Comme l’indique le beau mot de « ménage », le couple et la famille représentaient le dernier îlot de communisme primitif au sein de la société libérale. La libération sexuelle eut pour effet la destruction de ces communautés intermédiaires, les dernières à séparer l’individu du marché. Ce processus de destruction se poursuit de nos jours. »
Houellebecq décrit aussi très bien la dérive du new Age (on sait maintenant que tout fut manipulé et encadré par des sévices secrets) :
« Au départ c’était plutôt un endroit alternatif, nouvelle gauche ; maintenant c’est devenu New Age ; ça n’a pas tellement changé. Dans les années soixante-dix on s’intéressait déjà aux mystiques orientales ; aujourd’hui, il y a toujours un jacuzzi et des massages. C’est un endroit agréable, mais un peu triste ; il y a beaucoup moins de violence qu’au-dehors. L’ambiance religieuse dissimule un peu la brutalité des rapports de drague. Il y a cependant des femmes qui souffrent, ici. Les hommes qui vieillissent dans la solitude sont beaucoup moins à plaindre que les femmes dans la même situation. Ils boivent du mauvais vin, ils s’endorment et leurs dents puent ; puis ils s’éveillent et recommencent ; ils meurent assez vite. Les femmes prennent des calmants, font du yoga, vont voir des psychologues ; elles vivent très vieilles et souffrent beaucoup. Elles vendent un corps affaibli, enlaidi ; elles le savent et elles en souffrent. Pourtant elles continuent, car elles ne parviennent pas à renoncer à être aimées. Jusqu’au bout elles sont victimes de cette illusion. »
S’ensuit la douce confession du gros prof déprimé. Le plus intéressant dans cette élégie c’est que la littérature est enfin définie pour ce qu’elle est : « un objet culturel désuet ».
« Je ne sers à rien, dit Bruno avec résignation. Je suis incapable d’élever des porcs. Je n’ai aucune notion sur la fabrication des saucisses, des fourchettes ou des téléphones portables. Tous ces objets qui m’entourent, que j’utilise ou que je dévore, je suis incapable de les produire ; je ne suis même pas capable de comprendre leur processus de production. Si l’industrie devait s’arrêter, si les ingénieurs et techniciens spécialisés venaient à disparaître, je serais incapable d’assurer le moindre redémarrage. Placé en dehors du complexe économique-industriel, je ne serais même pas en mesure d’assurer ma propre survie : je ne saurais comment me nourrir, me vêtir, me protéger des intempéries ; mes compétences techniques personnelles sont largement inférieures à celles de l’homme de Neandertal. Totalement dépendant de la société qui m’entoure, je lui suis pour ma part à peu près inutile ; tout ce que je sais faire, c’est produire des commentaires douteux sur des objets culturels désuets. Je perçois cependant un salaire, et même un bon salaire, largement supérieur à la moyenne. La plupart des gens qui m’entourent sont dans le même cas. Au fond, la seule personne utile que je connaisse, c’est mon frère. »
Et de parler des rares années heureuses en matière d’amour, qui ne durèrent pas longtemps, quand il avait un début de révolution sexuelle et un reste de christianisme en France :
« L’Église catholique, qui avait toujours regardé avec réticence la sexualité hors mariage, accueillit avec enthousiasme cette évolution vers le mariage d’amour, plus conforme à ses théories (« Homme et femme Il les créa »), plus propre à constituer un premier pas vers cette civilisation de la paix, de la fidélité et de l’amour qui constituait son but naturel. Le Parti communiste, seule force spirituelle susceptible d’être mise en regard de l’Église catholique pendant ces années, combattait pour des objectifs presque identiques. C’est donc avec une impatience unanime que les jeunes gens des années cinquante attendaient de tomber amoureux, d’autant que la désertification rurale, la disparition concomitante des communautés villageoises permettaient au choix du futur conjoint de s’effectuer dans un rayon presque illimité, en même temps qu’elles lui donnaient une importance extrême (c’est en septembre 1955 que fut lancée à Sarcelles la politique dite des « grands ensembles », traduction visuelle évidente d’une socialité réduite au cadre du noyau familial). C’est donc sans arbitraire que l’on peut caractériser les années cinquante, le début des années soixante comme un véritable âge d’or du sentiment amoureux – dont les chansons de Jean Ferrat, celles de Françoise Hardy dans sa première période peuvent encore aujourd’hui nous restituer l’image. »
Houellebecq change de registre élégamment et sans faire de manière. Et voyez cette autre envolée sublime, aux femmes qui donnaient tout toute leur vie sans rien demander (on pense à la Félicité de Flaubert) :
« De tels êtres humains, historiquement, ont existé. Des êtres humains qui travaillaient toute leur vie, et qui travaillaient dur, uniquement par dévouement et par amour ; qui donnaient littéralement leur vie aux autres dans un esprit de dévouement et d’amour ; qui n’avaient cependant nullement l’impression de se sacrifier ; qui n’envisageaient en réalité d’autre manière de vivre que de donner leur vie aux autres dans un esprit de dévouement et d’amour. En pratique, ces êtres humains étaient généralement des femmes. »
Dans Soumission, qui est un roman courageux, Houellebecq tape bien sur les politiques et les …catholiques (voyez des images des JMJ à Panama, c’était à se tordre, dirait Allais) :
« Ce qui est extraordinaire chez Bayrou, ce qui le rend irremplaçable, poursuivit Tanneur avec enthousiasme, c'est qu'il est parfaitement stupide, son projet politique s'est toujours limité à son propre désir d'accéder par n'importe quel moyen à la « magistrature suprême », comme on dit ; il n'a jamais eu, ni feint d'avoir la moindre idée personnelle ; à ce point, c'est tout de même rare. Ça en fait l'homme politique idéal pour incarner la notion d'humanisme, d'autant qu'il se prend pour Henri IV, et pour un grand pacificateur du dialogue interreligieux ; il jouit d'ailleurs d'une excellente cote auprès de l'électorat catholique, que sa bêtise rassure. »
Après cette bonne démonstration de sobre et froide cruauté, je ne saurais trop recommander au lecteur de découvrir la part la plus soignée et révoltée de l’œuvre de Michel Houellebecq : ses vers…
Sources
Michel Houellebecq – Les particules élémentaires… ; extension du domaine… ; soumission ; rester vivant
Nicolas Bonnal – Comment les Français sont morts (Amazon.fr)
Louis de Bonald – Œuvres complètes, XVII (archive.org)
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Bulletin célinien
Janvier 2019
Sommaire :
Réhabilitation littéraire
Aux céliniens d’en bas
Céline à Drouot
Le choc de Breugel
Le Prix Renaudot et la participation du lauréat
Quand Jacques Ovadia écrivait à Céline et à Pauvert
Intolérable « réhabilitation littéraire » de Céline ! C’est le sens implicite d’un article de Philippe Roussin * (qui se trouve être, comme Taguieff et comme Anne Simonin, directeur de recherche au CNRS). Selon lui, cette réhabilitation s’est faite au prix du refoulement de son antisémitisme. Paradoxal car, depuis une trentaine d’années, on ne peut plus lire un article sur Céline sans que ne soit inévitablement rappelé son passé de “collabo” et son antisémitisme patenté. Affirmer que cela a été mis sous le boisseau apparaît ébouriffant. C’est à croire que cet universitaire ne lit pas les journaux et ne regarde pas la télévision. Chaque commentateur se fait un devoir de rappeler cette composante de l’œuvre. Par ailleurs, ces vingt dernières années, les essais, opuscules et articles sur l’idéologie célinienne se sont multipliés.
Retour en arrière : dans un entretien paru il y a quelques années ¹, Roussin confiait que lorsqu’il était étudiant, il lisait avec passion la revue Tel quel de Sollers, « alors la seule université digne de ce nom ». C’était l’époque où ce trimestriel, très impliqué en politique, célébrait la “réussite” de la révolution culturelle chinoise. Aujourd’hui, Roussin déplore le virage que cette publication prit ensuite, lorsqu’elle « se détourna de la politique et hissa la littérature française au rang d’un absolu ». Sollers et ses amis redécouvrirent alors puis revendiquèrent Céline « comme leur champion incontesté ». Et proclamèrent qu’on ne peut pas juger un écrivain sur des critères moraux. C’était prendre le contre-pied des thèses sartriennes qui ont, on l’aura compris, l’aval de Roussin. Pour celui-ci, la littérature doit nécessairement se soumettre au jugement politique. Bien entendu il est résolument contre une réédition scientifique des pamphlets car ce serait leur donner « une caution exagérée ». Et d’ajouter (il se refuse naturellement à détenir ces textes chez lui) : « Ceux qui veulent les lire n’ont qu’à faire comme moi, aller en bibliothèque. ».
Sur deux pages, il passe douloureusement en revue les nombreux aspects de la gloire posthume de Céline : le fait qu’il soit reconnu à l’égal de Proust, sa consécration éditoriale dans la Pléiade, l’inscription (1993) de Voyage au bout de la nuit au programme de l’agrégation de littérature française, l’achat du manuscrit par la B.N.F, la dizaine de biographies à lui consacrée, le succès des adaptations théâtrales, etc. Heureusement, « la réhabilitation littéraire a ses limites » : retrait en 2011 du “Recueil des célébrations nationales” et suspension l’année passée du projet de réédition des pamphlets par Gallimard face aux protestations qu’il a suscitées. Roussin considère que l’actualité célinienne n’est plus seulement d’ordre littéraire mais aussi d’ordre politique en raison notamment du climat « xénophobe » en France et en Europe. Claire allusion au souhait des peuples de vouloir à la fois restreindre l’immigration de masse et l’accueil des migrants. De là à évoquer une “révolte des indigènes”…
• Philippe Roussin, « Réhabiliter Céline » in L’Histoire, n° 453, novembre 2018, pp. 62-64.
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Ex: http://www.europemaxima.com
Né le 2 août 1920 à Paris et décédé un 28 janvier 1997 à Suresnes, Louis Pauwels fut sinon une personnalité paradoxale, pour le moins un personnage aux multiples facettes. Cet enfant de grand bourgeois flamand élevé par le second mari de sa mère, un ouvrier tailleur, Gustave Bouju, fut romancier, adaptateur de pièces et de romans pour la télévision, rédacteur en chef de Combat, puis d’Arts, et responsable de presse, créateur en 1977 du Figaro Magazine. C’était aussi un polémiste remarqué. Pensons à cet éditorial ravageur de décembre 1986 qui critiquait les manifestants contre le projet de loi d’Alain Devaquet sur la réforme de l’université. Il diagnostiquait que « c’est une jeunesse atteinte d’un SIDA mental. Elle a perdu ses immunités naturelles : tous les virus décomposants l’atteignent ». Bien vu ! Hélas, c’est tout l’Hexagone qui est maintenant frappé par cette horrible pandémie…
Certains de ses romans sont passés à la postérité. Une chanson de Serge Gainsbourg mentionne L’amour monstre. Louis Pauwels doit aussi sa renommée à deux essais coécrits avec Jacques Bergier, Le matin des magiciens (1960), et sa suite moins connue, L’homme éternel (1970). Le succès du Matin des magiciens lui permit de lancer, dès 1961, la revue Planète versée dans le réalisme fantastique (l’Atlantide, les extra-terrestres dans l’histoire, le Tibet mystérieux, les expériences parapsychologiques, etc.).
Longtemps anti-chrétien, Louis Pauwels retrouve la foi catholique à la suite d’un étrange accident au bord d’une piscine d’Acapulco au Mexique en 1982. Il se rallie alors au reaganisme, à la désastreuse politique de Margaret Thatcher, à l’Occident américanocentré et à la « révolution néo-libérale ». C’est son tournant libéral-conservateur ! Ainsi délaisse-t-il ses douze années précédentes de compagnonnage avec la « Nouvelle Droite » gréciste dans sa phase nominaliste, faustienne et scientiste. Il avait dédié sa pièce Président Faust (Albin Michel, 1974) à Alain de Benoist. Il gardera cependant la nostalgie des années 70 qu’il restitue dans son roman, Les Orphelins (Éditions de Fallois, 1994). Dans Les Dernières Chaînes (Éditions du Rocher, 1997), on retrouve de vieilles opinions défendues à ce moment-là. Il y constate que « l’uniformisation est le pendant de l’égalitarisme (p. 222) » et recritique implicitement le christianisme.
Dans son excellent Blumroch l’admirable ou le déjeuner du surhomme (Gallimard, coll. « Folio », 1976), il fait dire à Joseph Blumroch, l’étonnante hybridation entre Jacques Bergier et Alain de Benoist, être « pour une méritocratie. C’est le seul régime juste. Il n’existe nulle part (p. 33) ». Anticipant le transhumanisme, Blumroch attend avec une évidente impatience le Surhomme nietzschéen non sans avoir au préalable prévenu que « l’idée de surhomme que se font les sous-hommes est […] fasciste (p. 31) ». Déjà, dans sa Lettre ouverte aux gens heureux et qui ont bien raison de l’être (Albin Michel, coll. « Lettre ouverte », 1971), Louis Pauwels avouait miser « sur des minorités d’hommes exceptionnels. Pas du tout sur des minorités d’hommes exceptionnellement colériques. […] Pour moi, les seules élites vraies et respectables sont celles qui trouvent leur justification et leur récompense dans le bonheur d’autrui, ici et maintenant (pp. 152 – 153) ».
Ce zélateur anti-écologiste du progrès technicien s’intéressait à l’Europe. Dans son maître-livre, Le droit de parler (Albin Michel, 1981), le recueil de ses premières chroniques « révolutionnaires – conservatrices » du Figaro Magazine préfacé par Jean-Édern Hallier, il revient régulièrement sur l’avenir de notre continent. « Pour que l’Europe trouve son indépendance et assure sa sécurité, elle n’a pas d’autre voie que la volonté de puissance. Nous devons avoir le dessein de devenir l’une des grandes puissances mondiales, y compris dans le domaine militaire. Nous en avons les moyens. Nous avons le nombre. […] Nous avons à nous affirmer et à nous manifester comme union des nations du vieux monde central, communauté vivante de peuples historiques concrets, forgeant concrètement leur sécurité, conscients de leur originalité, soucieux de leur rayonnement (p. 219). »
Trois ans plus tôt, dans Comment devient-on ce que l’on est ? (Stock, coll. « Les grands auteurs »), il affirmait que « l’Europe a besoin de croire en elle-même. Elle a besoin de traditions ancestrales réanimées, de volonté de puissance et d’intelligence froide. Elle a besoin d’énergie, de richesse et de force (p. 195) ». Il avançait même que « la monarchie est une idée nouvelle en Europe. La nouveauté est de redécouvrir ce que nous sommes (idem) ». En 1979, au sein du collectif Maiastra, rédacteur de Renaissance de l’Occident ? (Plon), on pouvait lire que « la grande différence entre l’Europe et l’Occident, c’est que l’Europe demeure la source des valeurs et des facultés créatrices dont l’Occident ne porte que les applications. L’Europe détient les sources de la culture, là où les blocs qui sont nés et se sont détachés d’elle, ne possèdent que la civilisation née de cette culture (p. 312) ».
Dans son extraordinaire « Adresse aux Européens sans Europe » présent dans Le droit de parler, Louis Pauwels souligne que les racines des États européens « plongent dans un modèle culturel initial qui met la souveraineté dans le spirituel, l’esthétique et les vertus chevaleresques (pp. 166 – 167) » avant de conclure « Qui s’étonnerait, à y bien regarder, du peu de patriotisme de la jeunesse française ? Trop peu d’Europe éloigne de la patrie. Beaucoup d’Europe y ramène. Ils seront patriotes quand nous serons européens (p. 167) ». Trente-sept ans après, cette réflexion demeure toujours d’actualité !
Georges Feltin-Tracol
• Chronique n° 21, « Les grandes figures identitaires européennes », lue le 6 novembre 2018 à Radio-Courtoisie au « Libre-Journal des Européens » de Thomas Ferrier.
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Bulletin célinien n°413 (décembre 2018)
Sommaire :
L’énigme de l’assassinat de Denoël enfin résolue ?
Le lancement de Voyage et la querelle du Prix Goncourt
Esther Rhodes (1905-1955)
Jusqu’à ce jour, tout le monde (Céline lui-même, ses biographes, le monde judiciaire) considérait qu’en 1950 la justice française avait été bonne fille avec l’auteur des Beaux draps. Anne Simonin, directrice de recherche au CNRS, estime, elle, que le jugement fut d’une « sévérité extrême » ¹. Mais il y a mieux : on sait que l’année précédente, en novembre 1949, le commissaire du gouvernement Jean Seltensperger fut dessaisi du dossier, sa hiérarchie estimant son réquisitoire magnanime. Il se concluait, en effet, par le renvoi de Céline devant une Chambre civique (au lieu de la Cour de justice), ce qui eût entraîné une peine sensiblement moins lourde. L’historienne considère qu’il s’agit en réalité d’une « apparente complaisance », le magistrat ayant, au contraire, fait preuve d’une rare duplicité : « Imaginer renvoyer Céline en chambre civique était une façon habile de l’inciter à rentrer en France et à se produire en justice. Une fois Céline devant une chambre civique et condamné à la dégradation nationale, rien n’interdisait au commissaire du gouvernement de considérer que Céline avait aussi commis des actes de nature à nuire à la défense nationale (art. 83-4 du Code pénal). Le mandat d’arrêt, ordonné en 1945, autoriserait alors à renvoyer Céline en prison avant de le déférer en Cour de justice. Et le tour serait joué. » C’est perdre de vue que, dans son réquisitoire, Seltensperger avait requis la mainlevée du mandat d’arrêt. Et c’est surtout ne pas connaître les arcanes de cette histoire judiciaire. Coïncidence : il se trouve que le père (magistrat, lui aussi) d’un de nos célinistes les plus pointus, Éric Mazet, fut le meilleur ami de Jean Seltensperger. Au mitan des années soixante, les confidences que celui-ci fit au jeune Mazet attestent qu’il n’a jamais voulu piéger Céline, bien au contraire. Le réquisitoire modéré qu’il prononça en atteste et ce n’est pas pour rien que le dossier fut confié à un autre magistrat.
Ce n’est pas tout. En février 1951, les Cours de justice, juridiction d’exception chargé des affaires de Collaboration, furent dissoutes : celles-ci relevaient désormais de juridictions militaires. En avril, le Tribunal militaire de Paris fit bénéficier Louis Destouches d’une ordonnance d’amnistie applicable aux anciens combattants blessés de guerre. Ici aussi, l’historienne s’insurge, estimant que cette amnistie découle d’un faux en écriture publique (!). Explication, photo du document à l’appui : c’est un paragraphe ajouté à la main qui amnistia Céline « à l’insu » [sic] du Tribunal militaire. En tant que biographe de Céline, l’avocat François Gibault a étudié le dossier et connaît intimement cette matière. Il estime l’hypothèse pour le moins fantaisiste : « Si le Tribunal militaire n’avait pas délibéré sur la question de l’amnistie, le Président l’aurait fait savoir quand tout le monde lui est tombé sur le dos. Idem pour les juges du Tribunal militaire. La photo qui figure en marge de l’article est un jugement-type remis par le greffier au président pour gagner du temps. Il est d’usage que le président du tribunal supprime les passages inutiles, remplisse les blancs et ajoute à la main ce qui doit l’être. » Il paraît qu’Anne Simonin veut entreprendre des recherches pour savoir s’il s’agit bien de l’écriture de Jean Roynard, le magistrat qui présidait le Tribunal militaire. Notre historienne se doute-t-elle que cette écriture peut tout aussi bien être celle du greffier, du juge-rapporteur ou d’un autre juge qui tenait la plume ? Et connaît-elle le rôle déterminant qu’eut le colonel André Camadau, en charge de l’accusation, dans cette affaire ? ² Rien n’est moins sûr…
18:58 Publié dans Littérature, Revue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : céline, louis-ferdinand céline, lettres, lettres françaises, littérature, littérature française, revue, bulletin célinien, marc laudelout | |
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21:37 Publié dans Littérature, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, littérature française, lettres, lettres françaises, livre, louis-ferdinand céline, céline | |
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